Les rêves ne sont que des chimères.

Les luminescences qui nantissaient ce ciel d'ébène se mettaient à se mouvoir et troublaient la vision du jeune garçon qui croyait avoir la cerveau complètement obstrué. Tandis que sa démarche chancelait et que les étoiles du ciel gesticulaient inlassablement, des chevaux unijambistes vinrent à sa rencontre et lui expliquèrent par quelques palabres tout le bien qu'ils éprouvaient à forniquer et à ingurgiter les plus puissantes bières. D'un hochement de tête las, Celieno approuva et continua son périple jusqu'à ce qu'il rencontre un renommé forgeron, accompagné d'une femme, qui le fit entrer dans sa demeure pour lui expliquer tous les mécanismes de son travail, dont notamment l'utilisation de l'urine des vaches lèpres qui avivaient, selon lui, doublement l'argile des hauts fourneaux par rapport à l'eau. L'oeil de Celieno paraissait attentif au discours et, avant de s'en aller, le forgeron lui demanda de garder pour lui ce qu'il venait de lui raconter, au risque d'être pendu par ses parties... Il lui conseilla même une dernière fois de se nourrir d'ossements de renards pour préserver sa santé et d'éviter les malédictions avant de voir Celieno filé vers son monde...

Sans un certain mal, Celieno ouvrit les yeux et reconnut immédiatement son habitation insalubre, comme toutes celles qui encerclaient le château de Criméa. Il était chez lui, de nouveau chez lui et venait tout juste de quitter ce songe sibyllin qui était proche de lui retirer quelques rires lorsqu'il se remémorait les détails. Lentement et nonchalamment, il se retira de ce qui lui servait d'emplacement où dormir et se vêtit plus décemment; il enfila un pantalon en coton qui était lacé à l'aide d'une ceinture où était agencée quelques poignards masquées par une grande tunique qu'il finit par mettre. Lorsqu'il quitta son habitation, Celieno huma l'air malpropre et habituel dégagé par ces quartiers déchus... Tout semblait normal, le ciel était azuré et, en son sein, rien ne lui semblait en total mouvement; ce coloris bleuté et joyeux offrait, en outre, un joli contraste avec Criméa qui s'embourbait dans une atmosphère impure et oppressante.

La population grouillait et des afflux semblaient s'immiscer au coeur de la ville. D'un pas un peu prompt, il s'engouffra dans la masse et marcha quelques minutes jusqu'à s'éloigner un peu de son habitation. En route, il put continuellement observer et jeter des oeillades à ce qui semblait s'apparenter à des habitations; l'état maculé était significatif. Au loin, alors qu'il venait de se défaire de la populace, Celieno aperçut une femme qui était similaire à celle qui avait vu dans son rêve. Les traits, le teint, les yeux, les cheveux jusqu'aux moindres détails... Ce n'était peut-être qu'une impression, après tout, mais il s'avança jusqu'à elle et lui parla promptement, sans atermoyer, l'air crédule et désinvolte.

-M'zelle ! Dites-moi, vous ne connaitriez pas un forgeron notoire... ? C'est comme si je vous avais déjà vu avec lui...

En fait, il le savait complètement que ce n'était que lors d'un rêve...

Le voyage avait été long. En contemplant les rues de Criméa, Malice se demanda si elle avait bien fait de venir jusqu'ici. Alors la présence du Livre de ses Ancêtres contre son coeur la rassura; elle avait eu raison; si elle n'était pas partie de Dénaros jamais elle n'aurait pu accéder à son héritage. Traînant ses lourds bagages derrière elle, elle se fraya un chemin parmi la foule méfiante du matin. C'était la première fois qu'elle faisait ses pas dans la redoutable cité et sans se mentir à elle-même elle n'était pas sûre de supporter l'ambiance qui y régnait. Avec un soupir, elle s'engagea dans une ruelle quelque peu marchande, y déposa divers accessoires de magie, voire de danse et demanda à un marchand voisin de les garder... en échange d'une somme d'argent importante, bien entendu.

Une fois débarrassée de son encombrant matériel de scène, Malice emprunta une autre rue légèrement moins insalubre en repensant aux raisons de son départ; elle avait passé assez de temps à se réfugier, et son sang bouillonnait à l'idée de reprendre la route tracée par sa famille; la route du voyageur. En chemin, elle s'était arrêtée dans un village où elle avait retrouvé sur les étalages d'une librairie miteuse le livre que sa tribu avait gardé précieusement; troublée, elle avait insisté pour le récupérer et s'était privée ainsi d'une semaine de nourriture. Mais peu lui importait; elle avait retrouvé un peu de l'âme de sa famille et avait hâte de lire ce livre empli, pages après pages, de légendes gitanes, de chansons et d'astuces pour les artistes.

*Une chance que plusieurs personnes de ma famille aient su écrire...*

Sur cette pensée légèrement mélancolique, la gitane s'apprêta à continuer son chemin en direction de l'imposant château lorsqu'une voix l'interpella.

-M'zelle ! Dites-moi, vous ne connaitriez pas un forgeron notoire... ? C'est comme si je vous avais déjà vu avec lui...

Elle se retourna pour apercevoir un jeune homme qui lui sembla d'à peu près son âge. Elle fronça les sourcils et sourit légèrement devant l'absurdité de la question de l'inconnu. Voilà qui n'était pas commun... elle prit quelques secondes pour se remémorer ses dernières rencontres - sait-on jamais...

-Excusez-moi, mais il ne semble pas que je connaisse de forgeron ici... pourquoi me demandez-vous ça?

La réponse était limpide et ne laissait suggérer aucune trace de vraisemblance concernant un improbable lien entre son rêve et cette personne. Pourtant, ses pensées s'enlisaient dans la similitude qui accaparait ces deux personnages et qui le faisait un peu cogiter; il se demanda même si ce n'était pas lui qui était antérieurement entré en contact avec cette jeune fille. Cet amoncellement de pensées absconses et brumeuses l'éreintèrent quelques secondes et, conséquemment, Celieno poussa un petit soupir inaudible avant de river de nouveaux ces yeux vers son interlocutrice et la détailler - au risque de la mettre mal à l'aise - comme s'il s'apprêtait à faire quelque chose d'inopiné. Non, décidément, le faciès présentait une conformité troublante... et il ne put s'empêcher de lui reposer une question avec un certain manque d'élégance, dont l'intérêt allait en s'amenuisant...

-Et, maintenant, vous allez donc me dire que vous ne vous nourrissez pas d'os de renards, c'est bien ça ?

Oui, c'est bien connu, se sustenter d'ossements de renards préservent la santé et annihile les malédictions qui rodent autour de vous... Celieno en avait conscience, il tournait un peu l'occurrence en une forme de dérision sur les bases d'un songe qu'il avait précédemment fait lors de son dernier sommeil. Après cette question, il était conscient qu'elle pouvait précipitamment se mouvoir et quitter la compagnie d'un jeune garçon dont les questions étaient aussi insensés que l'accouplement entre un corbeau mégalomane et une truie dolente.
Son visage blême masqua une quelconque expression et demeura atone, marquant une certaine apparence sérieuse qui aurait pu nantir sa question d'une sincérité qui pourrait laisser son interlocutrice mettre en question les capacités intellectuelles de Celieno. Et, en outre, il continuait perpétuellement à poser son regard sur son visage et à la scruter comme s'il désirait intensément et profondément la sonder et à découvrir la réponse à sa question avant même qu'elle ne réponde.

-C'est vous que j'ai vue, je le sais ! continua le garçon avec le ton d'un enfant certain de ses dires. Et dites-moi, vous croyez aux malédictions ? conclut-il avec une élocution beaucoup moins enfantine mais sérieuse, de manière à tenter d'aviver un peu les réponses de son interlocutrice.

Malice fronça les sourcils devant les questions que lui posaient l'inconnu. Des questions insensées, étranges. Malice sourit légèrement; elle aimait ce qui l'inattendu, et se sentait intriguée malgré le regard un peu trop scrutateur de son interlocuteur. Ignorant la première question de ce dernier, elle préféra se concentrer sur ses derniers mots. Ils étaient un peu à l'écart de la foule et Malice ne craignit pas qu'on la bouscule; ce qu'ici, à Criméa, arrivait un peu trop à son goût. Puis elle se parla d'un ton affable, toujours souriante bien que méfiante;

-Vous avez sûrement dû me confondre avec quelqu'un d'autre. Je ne suis pas ici depuis longtemps...

Elle failli mentionner l'existence d'Alicia mais le simple fait de penser au passé la heurtait profondément. Elle se tût et se plongea quelques instants dans une réflexion prudente; Etait-il possible que cet homme à l'allure faussement enfantine ait pu croiser son amie d'enfance? Elle soupira en pensant au vide laissé par sa famille et sa tribu. Malice s'était retrouvée à mener une existence solitaire qui parfois lui pesait. Puis elle se rappela soudain que son interlocuteur lui avait posé une seconde question, d'un ton plus sérieux. Il lui demandait si elle croyait aux malédictions. Si elle avait eu le matériel elle aurait répondu avec un tour de passe-passe mais elle n'avait que le Livre de ses Ancêtres avec elle, et elle ne comptait pas le montrer. Son sourire s'effaça alors qu'elle parlait.

-Je crois en la haine qu'on peut éprouver envers quelqu'un... donc je crois aux malédictions comme aux bénédictions. Et vous...?

Elle s'arrêta, espérant avoir répondu de manière claire. Puis la gitane reprit la parole, toujours intriguée par la manière dont l'avait interpellé l'inconnu;

-... avez-vous vu quelqu'un qui pourrait me ressembler?

Face aux fadaises de Celieno, la jeune fille gardait son sérieux et une certaine mansuétude qui la rendait bien plus amène que ce qu'il pouvait espérer. Visiblement, elle ne renâclait pas la conversation et s'avérait relativement loquace, ne rechignant pas les paroles du garçon tout en conservant sa manifeste courtoisie. Pourtant, après sa question qui concernait les ossements de renards, il avait pensé mettre un terme au dialogue qui se déroulait présentement; rares étaient les fois où il se trouvait toujours en face de la même personne après avoir débité des inepties similaires.
Avec attention, Celieno avait laissé les paroles de son interlocutrice s'immiscer dans ses écoutilles auditives et abandonna subséquemment l'insipidité qui s'attribuait son faciès pour une expression avenante, le rendant davantage accessible et porté à converser. Les yeux de son visage blême devinrent bien moins inquisiteurs et une légère éclaircie se dessina sur ses lèvres qui laissèrent découler une élocution limpide et cordiale.

-Pour moi, les malédictions relèvent de ce qu'on peut communément appeler "la magie noire" et sont obligatoirement auréolés de diverses procédures qui, eux, s'apparentent à des rituels. Dès lors, par exemple, est-ce qu'une personne suffisamment superstitieuse est-elle capable d'en maudire une autre grâce à diverses procédures et la mener automatiquement vers des concours de circonstances néfastes ? Personnellement, je ne pense pas...

Tout cela n'était qu'un récit de ce qu'on lui avait enseigné une fois jeune, lorsqu'il vivait paisiblement à Alsaria où la joie et les plaisirs étaient censés être présents à longueur de temps. Le quotidien était tellement rayonnant qu'il avait préféré quitter ce royaume et établir une habitation à Dinak, dans les bas quartiers, pour pouvoir vivre comme bon lui semblait.
Son esprit revint à ce visage qui lui semblait d'une certaine façon familier; il y jeta un regard furtif et son impression ne s'altéra aucunement, c'était beaucoup trop ressemblant... et, ceci, même si ce n'était qu'au coeur d'un songe où les chimères gouvernaient. En somme, cela voulait dire que rien n'était réel et que tout ce qui s'y était produit était à diviser avec la réalité dans laquelle il se trouvait actuellement.
Inconsciemment, Celieno avait marqué un temps d'arrêt mais il reprit, tout en conservant sa déférence et en répondant à la question qu'elle lui avait posée.

-Généralement, les visages s'effacent rapidement de ma mémoire et, excepté vous, la dernière personne que j'ai en tête était au sein d'une ruelle où la noirceur régnait... Après tout, si j'ai l'impression de vous avoir déjà vue, peut-être est-ce parce que j'ai déjà rencontré quelqu'un qui vous ressemble beaucoup...

A la suite de ses derniers mots, il ferma les yeux, inclina légèrement sa tête et adressa un sourire à la jeune demoiselle avant de reprendre une dernière fois pour lui poser sa question si existentielle qui n'avait pour le moment pas eu de réponse.

Au fait, êtes-vous sûre que vous ne vous sustentez pas d'ossements de renards ?

Malice pencha la tête de coté en entendant son interlocuteur donner son avis sur la magie noire et les malédictions. Son visage semblait s'être paré d'une expression plus accueillante et la gitane en fût heureuse: elle n'aimait pas les confrontations et redoutait de se faire des ennemis. Le jeune homme semblait toujours convaincu de l'avoir déjà vue. Il évoqua sa dernière rencontre et émit une réflexion selon quoi il aurait croisé quelqu'un ressemblant à Malice. Cette dernière s'en amusa. Son interlocuteur sembla un instant plongé dans la réflexion puis parla à nouveau d'un ton étrangement sérieux;

-Au fait, êtes-vous sûre que vous ne vous sustentez pas d'ossements de renards ?

La gitane étouffa un rire devant l'intérêt irraisonné du personnage à l'encontre de ce qu'elle mangeait. Tout en se retenant de laisser éclater son hilarité, elle aborda un sourire franc et lança d'un ton légèrement amusé;

-Si j'ai mangé beaucoup de choses au cours de mon existence, force m'est d'avouer que les os de renards n'en font pas partie, désolée...

Pensait-il réellement que les gens de son peuple puissent se nourrir de telles choses? Quelle pensée étrange... Malice prit quelques instants pour retrouver son calme et réfléchit aux autres paroles du jeune homme. Après quelques secondes de silence la gitane parla d'un ton mélancolique et pourtant empli d'emphase, usant du verbe des sages de sa famille.

-Il est toujours bon de croire en quelque chose, et je crois qu'il faut se méfier des malédictions comme un enfant se méfierait du noir. Je crois qu'il faut craindre ce que nous ne comprenons pas comme nous avons peur, parfois même sans raison apparente; la magie coule dans tout ce qui vit, et je crois qu'il faut respecter ce souffle. Il est... il est la raison pour laquelle nous vivons.

Elle se tût soudainement, les yeux humides. Elle avait parlé avec une conviction qui lui semblait déplacée, et elle se sentit ridicule. Baissant la tête, elle résista à l'envie de s'excuser et parla d'un ton plus ordinaire, espérant que son interlocuteur allait ignorer cet écart de conduite;

-Vous disiez avoir rencontré quelqu'un récemment... peut-être était-ce cette personne dont l'apparence vous a fait penser à la mienne?

La gitane savait que son aspect était loin d'être banal, et redoutait autant qu'elle attendait des vaines nouvelles de ce qui avait été sa soeur d'âme et de coeur. Elle releva la tête et fixa l'homme dans les yeux, attendant une réponse.

Mais quelle calamité; une affliction submergea les pensées de Celieno face à la dénégation que présenta son interlocutrice concernant sa nutrition d'ossements de renards. Son humeur venait soudainement de s'émousser... Que croyait-il après tout, qu'il convierait cette jeune demoiselle au teint hâlé à un festin osseux qu'ils ne seraient pas prêts d'oublier ? L'occurrence aurait pu être cocasse si elle s'était amusée avec Celieno en approuvant sa question mais le ton de son élocution ne paraissait aucunement fallacieux pour que cela puisse arriver. La chronique osseuse du garçon venait donc de prendre fin sous cette réponse claire et catégorique et il n'y avait plus vraiment à y redire...
Ses dents grincèrent silencieusement et une légère brise s'installa, faisant danser sa masse capillaire qui commençait doucement à s'agrandir au fil du temps. Peut-être se devait-il de la couper prochainement... Il jeta consécutivement un regard à la populace qui paraissait toujours pulluler en quantité sous un brouhaha qui s'accroissait parallèlement, avant d'écouter son interlocutrice qui était revenue sur le thème des malédictions avec une certaine parole teintée d'éloquence.

-Eh bien, vous avez l'air de croire profondément en ce que vous dites. C'est respectable de me le dire avec une telle diligence et dévotion...

...tant que ça ne s'apparente pas à un assentiment ressemblant à une croyance divine aveugle dénuée de bon sens, faillit-il continuer avant de s'interrompre soudainement montrant clairement qu'il avait stoppé sa phrase. Débiter ses paroles et s'y étendre éventuellement feraient surgir quelques fragments de son passé qu'il avait définitivement oublié pour son plus grand bonheur. Il pensait que c'était préférable de ne pas s'y étendre...
Reprenant tranquillement et sans difficulté ses esprits, Celieno continua en espérant occulter la légère pensée amère qui était inopinément surgi.

...qui me laissent croire que vous avez quelques habitudes et traditions qui vous sont propres et dont je n'ai pas les connaissances nécessaires pour vous contester.

Tout bonnement laborieux mais il avait au moins réussi à recouvrer sa verve... Celieno aurait même pu dire ce qu'il avait précédemment pensé, dans la mesure où il était suffisamment débauché pour dire ouvertement - et sans soucis des répercussions - ce qu'il avait en tête. Cela ne l'affecta pas davantage; il avait sans doute dû être sensible à sa rhétorique pour ne pas déblatérer ses palabres... Cette éloquence qu'il avait l'habitude d'user et de priser était un art qui pouvait aisément leurrer et corrompre, et qui, pour ces raisons, le laissait quelques fois admiratif.
Rapidement, comme pour étouffer ses précédentes paroles, Celieno poursuivit et répondit à la demoiselle qui faisait une nouvelle fois preuve d'aménité car elle paraissait l'aider dans ses réminiscences qu'il présentait comme complètement confuses, prenant cependant le temps de parler plus lentement et d'atermoyer de manière à mieux se remémorer les quelques souvenirs qui sombraient gaiement dans les abysses de sa caboche.

-Alors... C'est possible que cette personne m'ait faite penser à vous... A vrai dire, il faisait très noir à cet instant alors j'ai du mal à me souvenir précisément d'elle et de son visage en particulier. Seuls ses jolis yeux jaunis m'ont particulièrement marqué... ils ressemblent d'ailleurs aux votre... Je crois qu'on a eu une conversation, mais je ne me rappelle plus, à vrai dire...

Il était laconique, diffus et semblait un peu débile à alourdir sa ponctuation pour prendre davantage de temps entre quelques mots mais continua.

-Après tout, peut-être n'ai-je fait que rêver de vous et c'est pour cela que votre visage me paraît familier conclut Celieno en manquant de sérieux, avec un léger sourire aux lèvres qui le rendait complètement nais.

Un vent très léger s'était élevé et Malice huma ce nouvel air venu d'au-delà des murs de la cité. Son interlocuteur sembla un instant déçu par sa réponse mais se reprit vite. Il l'écouta parler et lui répondit en des termes d'une politesse admirable. Puis comme s'il ne souhaitait pas aborder le thème des croyances il prit de la distance en affirmant ne pas souhaiter la contester. La gitane laissa apparaître un sourire énigmatique sur ses lèvres - peu de gens appréciaient ses croyances, et celui-ci devait en faire partie. Elle fixa ensuite son interlocuteur avec affabilité alors qu'il tentait de se remémorer sa rencontre. Un instant elle se demanda d'où pouvait-il venir; ces traits relevaient une certaine noblesse qui paraissait ici déplacée. Lorsqu'il mentionna le souvenir de sa dernière rencontre Malice arrêta de sourire et fût aux aguets; les yeux jaunes étaient rares, et elle ne connaissait qu'une personne qui...

*N'y pense pas. C'est impossible. Si elle a survécu, elle est loin de toi. Oublie ce passé.*

Elle secoua la tête comme pour effacer le souvenir de sa presque-soeur. Puis elle rit en entendant la dernière remarque de son interlocuteur, sans savoir comment la prendre. Elle l'examina encore une fois; la plupart de ses gestes étaient feints et donnaient l'impression d'avoir affaire à un enfant. Un masque de plus, pensa-t-elle sans grande amertume. Elle répliqua d'un ton léger et un peu trop insouciante;

-Vous m'avez aperçue en rêve? Vous me voyez flattée.

Alors qu'elle levait la tête pour contempler le ciel matinal quelqu'un la bouscula et elle manqua de tomber. Elle se rattrapa de justesse, ce qui ne fût pas le cas du livre qu'elle avait gardé contre elle; elle se baissa pour le saisir à nouveau, espérant que le jeune homme n'allait pas découvrir son origine nomade; elle savait qu'ici, peu de gens accepteraient sa présence s'ils le savaient. Elle vérifia que le précieux ouvrage n'avait rien avant de le serrer contre elle comme au départ.

-Excusez-moi, lança-t-elle sans savoir pourquoi.

Une légère surprise gagna Celieno sans pour autant maquiller son faciès lorsqu'elle lui exprima son ressenti suite à sa dernière phrase. Le jeune garçon pensait que ce qu'il avait dernièrement dit n'aurait aucunement été pris avec un quelconque sérieux et même si cela ressemblait vraisemblablement à la vérité. Après tout, ce n'était qu'un détail s'apparentant à une vétille sans importance et sur laquelle il ne s'étendrait probablement pas davantage.
Tous deux avaient discuté depuis un certain moment désormais malgré la base nigaude qui en avait poussé un à rencontrer l'autre; Celieno s'était aperçu de sa mansuétude et de sa légère expressivité extériorisée par sa mouvance ou ses légers rires qui rayaient apparemment toute trace marmoréenne de son tempérament. Cette aménité offrait une manifeste discordance avec la ville dans laquelle elle se trouvait...

Sans même gesticuler, il aperçut un citoyen lambda bousculer son interlocutrice qui manqua de peu de flairer le sol mais offrit néanmoins une petite scène facétieuse, laissant inopinément Celieno étouffer un rire peu audible. Quelle galanterie, décidément... Se plaire de l'infortune d'une personne avenante plutôt que de lui apporter un quelconque soutien de n'importe quelle manière possible. Toutefois, Celieno prit conscience de sa conduite exécrable qui méritait un châtiment funeste et décida instantanément de se rattraper.

-Voulez-vous que j'aille le tuer ? questionna-t-il, en parlant du personnage - toujours visible - qui avait malencontreusement heurté la demoiselle sans même jeter un regard ou un geste même furtif en signe de pardon.

Une question qui était commodément sortie de sa bouche avec une élocution qui paraissait la plus sincère possible; le tout, marié avec un sourire qui le rendait presque engageant et enclin à satisfaire son interlocutrice si sa réponse s'avérait positive. Et voilà, quel rebondissement, Celieno était devenu ce qu'il y avait de plus galant en l'espace de quelques secondes. Ainsi, il avait magnifiquement rattrapé son manque de maturité précédent et donnait la meilleure impression envisageable à la jeune demoiselle.
Avant même d'écouter sa réponse, il porta son regard sur le livre qu'elle détenait entre ses mains après l'avoir ramassé suite à la bousculade du malotru et vit qu'elle ne le lâcherait vraisemblablement pour rien au monde tant elle paraissait le serrer. Malheureusement, il ne put voir une quelconque marque qui lui était familière mais Celieno avait eu la chance de bénéficier d'une certaine éducation qui l'avait poussée à lire et à détenir en connaissance moult ouvrages. Dès lors, peut-être le reconnaitrait-il s'il pouvait le voir davantage; il fut peut-être indiscret mais n'atermoya pas avant de poser sa question.

-Qu'est-ce donc que vous avez là ? Peut-être puis-je vous informer davantage du livre que vous détenez si je le connais et vous offrir ainsi quelques unes de mes piteuses connaissances qui pourraient vous être utiles.

Alors que Malice vérifiait l'état de son précieux ouvrage, son interlocuteur sembla cacher un rire qui ne lui plaisait guère. Elle s'apprêtait à lui adresser un regard assassin lorsqu'il proposa de la voix la plus sérieuse;

-Voulez-vous que j'aille le tuer?

Elle l'observa, cherchant à savoir s'il se moquait d'elle mais il semblait le penser réellement; à cet instant précis, il était l'affabilité même. Malice jeta un oeil sur l'homme qui s'en allait au loin et fit non de la tête. Décidément, Dinak était un endroit étrange, un endroit où tuer se faisait comme on ferait une soupe. Malice poussa un profond soupir, elle ne savait dire si c'était de lassitude ou simplement de fatigue. Elle avait été élevée dans le respect de toute vie et ces situations étaient pour elle incompréhensibles. Puis elle remarqua que celui qui lui faisait face avait jeté un regard à son livre. Méfiante, elle attendit la question qui allait suivre;

-Qu'est-ce donc que vous avez là? Peut-être puis-je vous informer davantage du livre que vous détenez si je le connais et vous offrir ainsi quelques unes de mes piteuses connaissances qui pourraient vous être utiles.

La gitane fit de son mieux pour cacher son affolement; à chaque fois qu'elle dévoilait ses origines, que ce soit ici ou en Alsarie elle avait été chassée, et rien ne disait que son interlocuteur était différent. Elle lui adressa un sourire qu'elle voulait aimable et parla d'un ton voilé d'une fausse sérénité;

-Ce livre est très rare, de plus il concerne uniquement ma famille... je suis désolée mais vous ne pourrez le lire.

Elle se tût tout en fixant le jeune homme dans les yeux. Puis reprenant un ton plus amène elle sourit et dit;

-Je viens de me rendre compte que nous ne nous sommes pas présentés... Je me nomme Malice Daiishi.

Sa réponse fut limpide, d'une simple oscillation de la tête et montrait qu'elle ne désirait apparemment pas la mort de cette personne venue la bousculer. Ceci était peut-être plus simple, d'autant plus que l'esprit débauché et peut-être irréfléchi de Celieno l'auraient probablement pousser à commettre cet acte si elle avait approuvé. Rien ne l'en empêchait, en outre... Sauf le soucis précieux de devoir prodiguer de son temps qui tiraillait quelques fois son esprit. Celieno avait déjà tué, jamais sans une raison qui, pour lui, produisait un effet efficient, mais il avait déjà ôté la vie d'autrui et savait consciemment qu'il serait prêt à recommencer en cas de besoin.
Suite à ce refus, son attention s'attardait continuellement sur le livre qu'elle détenait entre ses mains; il lui jetait quelques oeillades furtives tout en faisant vaciller son regard de droite à gauche où la foule pullulait. Etrangement, il avait l'air de vouloir absolument savoir si ce livre faisait parti des connaissances qu'il avait ingurgitées une fois jeune. Lire avait probablement fait parti des quelques moments radieux d'autrefois...

-Ce livre est très rare, de plus il concerne uniquement ma famille... je suis désolée mais vous ne pourrez le lire.

Et, voilà, deuxième refus en l'espace d'un rien de temps. Décidément, le jeune garçon dégageait un certain succès.
Conservant un visage atone, Celieno put remarquer l'élocution absconse de son interlocutrice qui dénotait de quelque chose de différent par rapport à ses dernières phrases sans toutefois savoir de quoi il était précisément question, bien que le rapport avec ce livre paraissait presque évident. Il laissa un sourire indiscernable se noyer sur ses lèvres; Celieno comprenait le refus de la demoiselle mais avait déjà décidé de folâtrer avec elle. Dès lors, d'un geste leste et draconien, il mut son bras, saisissant et prenant vertement le bouquin de la jeune fille en le lui dégageant des bras... avec une galanterie qui venait une nouvelle fois de s'effondrer.

-Mais ne vous en faites pas, je ne le lirais pas. Je vais seulement regarder quelques pages, par-ci, par-là... chantonna Celieno, en portant son regard sur le livre qu'il avait maintenant en main tout en renversant les pages de droite à gauche comme le plus benêt des enfants, mais sans s'attarder sur son thème ou son origine.

-A propos, moi, c'est Celieno Gaoth. Enchanté de faire votre connaissance ! dit-il pour conclure, n'oubliant pas qu'elle avait eu précédemment la décence de lui octroyer son nom et prénom.

-... Mais!

Cette exclamation quasi-enfantine résuma parfaitement la pensée de la gitane. Malice observa quelques instants Celieno, avec une surprise mêlée d'une certaine rage. Si elle avait été Alicia ou n'importe qui de sa famille elle aurait réglé cette affaire avec les armes mais quelque chose l'en empêchait; un fou rire qui pointait sous sa colère. La personne qui lui faisait face était sans doute quelqu'un de très obséquieux quand il le fallait, mais elle venait de voir sa galanterie s'effondrer en un geste. Il se comportait vraiment comme un enfant, et cette attitude la faisait rire. La gitane prit quelques instants pour se calmer et réfléchit à un moyen de récupérer le précieux volume. Le dénommé Celieno Gaoth ne semblait pas faire réellement attention au contenu du livre, elle avait encore une chance de sauver sa réputation.

-Je vous préviens, vous avez intérêt à me rendre ce volume avant que je m'énerve, lança-t-elle d'un ton amusé.

Puis sans attendre de changements, elle défit son foulard, libérant ses cheveux fous couleurs de terre. Ensuite, d'un geste d'un fermeté insoupçonnée, elle s'empara de l'ouvrage, le récupéra et l'enveloppa dans le foulard. Puis comme si le livre n'avait jamais existé, elle renoua le tissu autour de son crâne et la forme de l'ouvrage se perdit entre les plis du foulard. Le tout avait été exécuté quelques secondes et avec précision. Ce tour de passe-passe était un classique mais il avait toujours impressionné ses spectateurs.

-Je vous l'avais dit... vous ne lirez pas son contenu, dit-elle en souriant. Elle avait perdu son ton affable pour un sourire malicieux. Elle attendit la réaction de son interlocuteur en retenant un nouveau rire. Puis une étrange pensée traversa son esprit; peut-être que ses ancêtres connaissaient une recette à pour cuisiner les os de renards? Elle se promit de vérifier une fois un logement décent trouvé.

Apparemment, Celieno pourrait commettre toutes les inepties possibles, jamais il ne ferait sombrer son interlocutrice dans une frénésie folle auréolée par une animosité exprimée avec véhémence. De toute évidence, elle dégageait une délicatesse immuable et un tempérament trop délicat pour que le garçon puisse la fâcher. Même en perdant le livre qui lui était vraisemblablement cher, elle conserva son flegme et parut même allègre des bêtises de celui qui semblait s'apparenter fortement à ce qui ressemblait de très près à un garnement. Peut-être aurait-il dû orienter davantage son regard vers le contenu du livre pour percevoir un semblant d'irritation...

Même s'il ne réalisait pas l'importance du contenu de ce livre et qu'il le palpait comme s'il s'avérait de quelques feuilles bonnes à consumer, Celieno restait néanmoins attentif à ne pas le voir échapper; il conservait toute son attention pour qu'il ne se soustraie pas de ses mains. Toutefois, son opposante semblait vouloir le reprendre - ce qui était intelligible - et le confirma en le faisant clairement comprendre à Celieno avant de s'exécuter à l'aide de son foulard tout en se mouvant d'une façon hautement gracieuse qui semblait tout autant méticuleuse. Le mouvement était fluide, soigné et permit de dérober l'ouvrage au sein des mains de Celieno, engendrant un étonnement néanmoins dissimulé par une expression amorphe sur son faciès.

Après avoir jeté un premier et dernier regard vers ses mains pour s'assurer de ce qui venait présentement de se produire et un autre vers la demoiselle qui venait probablement de dissimuler l'ouvrage définitivement, Celieno s'assura de l'occurrence et finit par prendre la parole.

-Visiblement, vous êtes meilleure que moi à ce jeu, m'zelle Malice. Me voilà piteusement vaincu... Désormais, je ne chercherais plus à vous prendre quoi que ce soit, je n'en ai plus les moyens confessa Celieno en affichant un agréable sourire et en saluant définitivement les informations du livre qu'il cherchait à connaître.

Et il ne plaisantait pas forcément, le garçon ne se pensait pas capable de reprendre le bouquin... sauf peut-être à l'aide de ses armes qu'il s'excluait néanmoins d'utiliser. Bouuuh... quelle humiliation de devoir avouer sois-même sa défaite et de s'engouffrer dans les abysses de la honte le temps que son orgueil soit soigné. Entre temps, il serait obligé de vivre des jours malheureux...

-Vous savez, le perdant se doit d'exécuter une demande du vainqueur quelle qu'elle soit son envergure pour que sa victoire ait une véritable importance dit Celieno en se remémorant rapidement les règles des jeux qu'il faisait au royaume d'Alsaria, tout en simulant un air abattu, en rendant son visage faussement éploré et en se demandant ce qu'elle pourrait demander ou comment elle réagirait à la situation stupide qui lui était imposée...

La tête de Malice pencha de coté lorsqu'elle entendit la requête de Celieno. Il avait l'air faussement dépité et relativement surpris par son tour. Il lui dit qu'il ne chercherait plus à lui voler ses affaires et la jeune femme dut s'empêcher de le remercier. Lors des années passées au monastère de Clairbois la gitane avait appris à se conduire avec aménité et une politesse qu'elle ne ressentait pas forcément à l'égard de tous. Perdue dans ses souvenirs, la femme aux yeux dorés mit un moment pour reprendre conscience de là où elle était et adressa un sourire dénué d'expression à son interlocuteur;

-Puisque vous sembler tenir à ce que ma "victoire" prenne de l'ampleur, je vous poserai une question à laquelle vous serez tenu de répondre.

Son ton était teinté d'une certaine curiosité; depuis que l'alsarienne avait rencontré Celieno une question la taraudait et elle détenait l'occasion rêvée pour la poser. Elle prit quelques instants pour trouver une formulation adéquate puis abandonna, parlant d'un ton direct.

-... d'où venez-vous?

Elle fixa son interlocuteur; sa question était simple mais ce n'était pas toujours facile d'y répondre et Malice savait qu'elle-même ne révélerait pas facilement ses origines. Mais lui n'était pas victime de préjugés, il n'avait pas ce problème, pensa-t-elle alors avec une certaine amertume.

Sujet: Re: Les rêves ne sont que des chimères. Mer 1 Sep 2010 - 20:56

Si ce n'était qu'une question, Celieno s'en tirait remarquablement bien dans la mesure où il octroyait un éventail de possibilités relativement large au vainqueur. Mais... bouh... ce n'était pas ce qu'il avait conjecturé; le jeune homme s'attendait à une demande un peu plus contraignante qu'il adapterait et interpréterait à sa manière pour badiner davantage de façon à incommoder la demoiselle. Cette circonstance aurait peut-être pu être possible s'il n'était pas en face de ce qu'il y avait de plus généreux...
En penchant très légèrement sa tête en signe d'attente, il porta son regard sur Malice et se dit que le mensonge était si facile et qu'il pourrait éventuellement en user bien qu'il n'y avait strictement aucune question qui pouvait s'avérer trop incommodante à son goût. Et, effectivement, outre certains légers détails à éluder, ce ne fut en rien incommode même si Celieno ne put tout de même s'empêcher de répondre stupidement...

-Là-bas, dit-il instantanément en se retournant et en désignant laconiquement de son doigt une concentration d'habitations insalubres. Je viens de là-bas.

Aussitôt, il ne put s'empêcher de s'en amuser et de lâcher un rire sincère bien qu'inhabituel. Cette réponse stupide convenait parfaitement à son comportement depuis qu'il discutait avec Malice; répondre de la sorte était trop capiteux, ce qui l'avait empêché de se modérer. Toutefois et évidemment, Celieno le savait parfaitement, ce n'était probablement pas une réponse aussi dénuée d'intérêt qu'elle attendait et qui la satisferait... dès lors, le garçon reprit son sérieux sans atermoyer.

-Je ne m'attendais pas à ce que vous vous intéresseriez à mon passé à vrai dire, m'zelle sourit Celieno avec une voix très sincère sans aucun sillage de niaiserie. Je suis né au Royaume d'Alsaria...

Marquant un temps d'arrêt, Celieno reprit sans interruption avec une voix limpide et intelligible qui assemblait naturellement ses mots et laissait découler des phrases fluides et explicites qui feraient passer ses précédentes niaiseries pour une maladie qui se déclenchait inopinément.

-J'ai grandi non-loin de la capitale, Dénaros, un lieu où l'activité économique et le cadre social se veulent florissants et prospères. Mes parents détenaient certains avantages et une certaine notoriété qui leur permirent de m'octroyer une enfance aisée à l'abri d'une quelconque nécessité. Autant dire que j'ai eu de la chance car j'ai pu bénéficier d'une éducation remplie; compter, lire, écrire ou même certaines sciences ne me sont plus trop compliquées... Toutefois, des différences d'opinions régnaient entre mes parents et moi et m'ont poussé à construire mon chemin sans eux et j'ai donc décidé de quitter Alsaria et de m'établir ici... ... Ça vous va ? J'ai sans doute un peu palabré. conclut Celieno avec un sourire engageant mais en paraissant un minimum gêné.

Sujet: Re: Les rêves ne sont que des chimères. Dim 5 Sep 2010 - 12:33

Malice observa attentivement Celieno. Ce dernier prit un instant de réflexion, désigna un endroit quelconque de la ville en y répondant de manière totalement insatisfaisante. Il se mit à rire avant de prendre un ton plus sérieux, d'une sincérité étonnante pour la gitane qui s'attendait à une pitrerie de plus. Elle l'écouta attentivement, tentant de cacher sa stupéfaction devant une succession de phrases qui démontrait chez le jeune homme une schyzophrénie certaine, ou une tendance à ne pas la prendre au sérieux. Après sa tirade il semblait légèrement gêné. Malice lui adressa un sourire sincère et reconnaissant;

-Cette réponse me convient parfaitement. Il est vrai qu'il y a dans vos traits quelque chose que l'on ne retrouve pas chez les gens d'ici.

Elle rit.

-Lorsque vous m'avez interpellée je ne pensais pas avoir affaire à un fils de noble! Dit-elle d'un ton amusé mais légèrement plus méfiant. Elle gardait un mauvais souvenir des gens les plus riches qui s'étaient souvent amusés à les chasser, elle et sa famille. Plus que les autres. Elle ferma les yeux, chassant ce souvenir teinté d'amertume; elle ne voyageait pas pour se voiler de préjugés. Elle adressa un regard teinté de curiosité à son interlocuteur; d'une certaine façon il lui ressemblait, lui aussi avait voyagé pour arriver en des endroits inconnus et dangereux.

-Quelle étrange idée de s'établir ici, dit-elle en lui adressant à sourire sibyllin. N'avez donc pas peur d'être rejeté ou chassé de cette ville?

Sujet: Re: Les rêves ne sont que des chimères. Ven 10 Sep 2010 - 13:22

Au moment où Malice fit connaître sa satisfaction concernant la réponse de Celieno, celui-ci annihila toute trace de gêne et arbora un faciès bien plus détendu nimbé de deux châtaignes oculaires qui regardaient naturellement la demoiselle. Sa tête se pencha légèrement et son regard ne paraissant nullement enclin à se détourner comme s'il montrait un véritable intérêt à ce qu'il fixait présentement. Avec attention et une certaine décontraction qu'il avait naturellement gagné au fil de la conversation, il écouta son interlocutrice qui avait fort heureusement négligé les "divergences d'opinions" qu'il avait précédemment évoquées sur son histoire et qui l'avaient conduit à le diriger vers Criméa.

-Quelle étrange idée de s'établir ici, dit-elle en lui adressant à sourire sibyllin. N'avez donc pas peur d'être rejeté ou chassé de cette ville?

Cette idée, en plus de paraître étrange comme elle le précisait, semblait aussi digne d'un être incommensurablement arriéré. Quitter un lieu et une famille où tout était à son avantage pour un autre où le danger et les vicissitudes étaient fréquents relevait d'un paradoxe qui paraissait difficilement résoluble. Pourtant la raison, sans entrer dans des éclaircissements profonds, demeurait relativement simple et presque compréhensible.

-J'ai réussi à m'acclimater à l'atmosphère nocive de cette ville. Vous savez, je sais très bien me défendre lança-t-il d'un air légèrement nais avant de sortir et révéler un poignard qui auréolait sa ceinture. Celieno le manipula d'une main en le faisant tourner sur lui-même tout en pavanant ses doigts lestes avec une certaine aisance qui attestait de son habitude à utiliser une telle arme. Toutefois, il négligea la réaction qui pouvait être suscitée par la vision d'un poignard rendue visible et manipulée avec un tel naturel...

-En fait, ce qui est génial, ici reprit Celieno comme un enfant, joyeux de raconter ses bonnes aventures, c'est que je peux faire ce que bon me semble et que je n'ai personne pour me dicter ma conduite ou les sois-disant bonnes choses à faire conclut-il tout en continuant de s'amuser avec son poignard qui semblait constamment proche de lui couper un doigt. Eh vous... Il reprit, toujours poignard en main, après avoir marqué un léger temps d'arrêt. Seriez-vous prête à me raconter votre histoire et à m'informer du lieu d'où vous provenez, m'zelle Malice ? C'est vrai que, contrairement à vous, je n'ai pas gagné le droit d'obtenir une réponse à une telle question... Mais ma curiosité m'oblige au moins à vous la demander.

Sujet: Re: Les rêves ne sont que des chimères. Lun 20 Sep 2010 - 13:57

Malice se raidit en voyant Celieno sortir son poignard. La vision de l'arme tranchante avait considérablement accrue sa méfiance. Même si il était clair que l'arme ne lui était pas destinée, elle ne pouvait s'empêcher d'être dérangée par la menace que son interlocuteur ne lui adressait pas. Il parlait comme un enfant, lui racontait son bonheur d'être libre et ne n'obéir à personne. La gitane pouvait comprendre ce besoin de liberté, elle l'avait intensément ressentie lorsqu'elle avait été recueillie au monastère de Clairbois. Ainsi Malice hocha la tête en signe de compréhension puis suspendit son geste en entendant la question de la personne avec laquelle elle parlait depuis un certain temps. Elle aborda un sourire alors que sa voix résonnait, tranchante et incisive.

-Comme tu l'auras sans doute deviné, je ne suis pas d'ici. Et pourtant je ne suis pas non plus d'Alsaria ou d'Ellandy. Je suis née dans une famille de gitans qui a eu la malchance d'être l'objet d'un massacre. Je suis sans doute la seule qui ait survécu à cette nuit. Maintenant que tu le sais, vas-tu m'accuser de tous les maux, me chasser comme tous les autres?

Elle avait parlé froidement, d'un ton presque atone, mécanique. Elle fixait à présent Celieno d'un air inquisiteur, incertain et légèrement hostile, se préparant à devoir sortir ses armes si le besoin s'en faisait sentir. Puis elle se rendit compte qu'elle avait abandonné le vouvoiement à l'égard de son interlocuteur. Cette pensée lui arracha un sourire étrange.

Sujet: Re: Les rêves ne sont que des chimères. Jeu 23 Sep 2010 - 17:56

Bouuh, peut-être avait-il transmis sa maladie –ou ce qui s’y apparentait- mais, visiblement, elle aussi était vraisemblablement atteinte d’une forme de démence qui altérait inopinément son comportement en effaçant toute trace d’aménité et d’affabilité qui étaient les principales caractéristiques que Celieno avait dénotées. Le dialogue se construisait dès lors avec au moins quatre comportements qui parlaient sans donner d’indication de leur arrivée et qui pouvaient surprendre d’un moment à l’autre comme se fut présentement le cas pour Celieno lorsque son interlocutrice prit la parole pour conter son histoire.
Le jeune garçon pensa qu’il n’aurait pas dû poser la question pour déclencher cette sorte de froideur qui se caractérisait peut-être par un mécontentement et qui en était même venue à annihiler le vouvoiement qui paraissait immuable. Mais le sourire que Malice arborait en parlant le laissait perplexe et il ne savait pas quel était son ressentie dans l’immédiat alors qu’il l’écoutait avec un visage de marbre qui se transposait sur sa peau livide.
Elle aussi avait connu la mort, mais d’une manière tragique et effroyable qui divergeait de celle de Celieno qui avait d’ailleurs omis d’en parler.

-Ma question était probablement malvenue. Vote passé funeste et vos origines n’entrent pas dans l’appréciation que j'ai pour vous puisque vous ne les aviez nullement choisis. Dès lors, je ne vois aucune raison de vous chasser.

Oui, la réponse n’était pas complètement originale mais avait le mérite de demeurer sincère sans aucune carnation de fadaises et autres blagues qui auraient pu pousser son interlocutrice à des envies de meurtres vu le regard qu’elle était en train d’imposer à Celieno. Pourtant, il avait presque était tenté d’en tirer une mais s’était promptement arrêté en repensant à l’ampleur des propos dont il était question… Certaines fois, il savait rester un minimum rationnel ; ce n’était pas qu’un benêt, il avait reçu une certaine éducation qui demeurait encore.

-Vous êtes une personne très sympathique, vous savez dit-il en penchant légèrement sa tête, tout en adressant un sourire engageant comme il l’avait déjà quelques fois fait pendant la conversation. Qu'êtes-vous venus faire dans cette ville à la si mauvaise réputation ?

Sujet: Re: Les rêves ne sont que des chimères. Lun 11 Oct 2010 - 17:07

Celieno l'avait écouté avec attention, et Malice pouvait percevoir la surprise qu'il ressentait en l'entendant parler ainsi, en la voyant sourire alors qu'elle s'attendait à un rejet. La gitane pouvait facilement s'imaginer sa soeur perdue parler ainsi... si elle avait survécu. Puis son interlocuteur lui parla d'un ton respectueux qui ramena un sourire sain sur son visage aux teintes de caramel. Il lui demanda par la suite ce qu'elle venait faire à Dinak, mais Malice elle-même n'en savait rien. Sans se départir de son sourire sibyllin, elle haussa les épaules tout en lançant:

-J'ai passé beaucoup de temps dans les capitales, à essayer de survivre grâce à mes tours de passe-passe. Puis les esprits de mes ancêtres se sont imposés à moi; je ne suis pas sédentaire et ne le serais jamais. Je pense m'établir ici quelques temps avant de partir explorer d'autres contrées... le monde est vaste, la Nature est grande... et les conflits entre les pays importent peu à mes yeux.

Ce qui n'était au départ sensé être qu'une seule phrase s'était transformé en un discours décousu. Malice se tût, fixant Celieno. Elle se souvint alors qu'il l'avait complimentée.

-... Merci pour vos hommages, mais je crains de ne pas les mériter. Je suis quelqu'un de lâche qui a tenté de s'oublier à travers une existence pauvre... au final je suis bien contente d'être sortie de ma léthargie!

Elle avait parlé d'un ton amusé mais elle n'en pensait pas moins ce qu'elle disait. Jetant un coup d'oeil au ciel, elle déclara:

-D'ailleurs il faudra bientôt que je parte... j'ai laissé mes affaires à quelqu'un qui ne m'attendra pas indéfiniment, fit-elle sans se départir de sa sympathie. Un instant elle pensa à la surprise qu'avait dû éprouver Celieno en la voyant sous des traits plus durs, et cela la rendit soucieuse.

Sujet: Re: Les rêves ne sont que des chimères. Sam 23 Oct 2010 - 21:56

Avec retenue et sans geste ostentatoire, Celieno rangea discrètement son poignard en écoutant parallèlement Malice qui avait récupéré toute sa mansuétude. Le vouvoiement avait repris place au tutoiement et cette froideur inopinée venait de s'éteindre aussi rapidement qu'elle était venue. Peut-être était-ce mieux ainsi. Quoi qu'il en soit, Celieno trouvait ce changement relativement curieux dans la mesure où une versatilité de cet acabit lui semblait impossible. Toutefois, il ne préféra pas questionner Malice car il n'en voyait pas la nécessité si tout semblait être redevenu dans l'ordre, mais il eut une idée qui avait parfaitement sa place dans sa palette de nigauderies.

-Oui, tu dois partir si tu ne veux pas que l'on te dérobe tes biens personnels... commença-t-il froidement en exhibant un visage languissant qui semblait inaltérable. Je viens avec toi car on ne sait pas s'il a pris la fuite et, si c'est le cas, nous aurons la décence de le retrouver et de le lui découper les orteils pour le punir de cet acte frauduleux.

Discrètement, il inspira une petite bouffée d'air qui commençait peu à peu à être plus frais et se demanda si elle avait fini par le considérer définitivement comme la plus imbécile des personnes. Ensuite, et sans atermoyer, Celieno reprit la parole sans laisser trop de parcelles de temps séparer ses derniers mots, tout en posant sèchement ses deux perles oculaires sur la personne qui devait le pendre pour un fou. Ses niaiseries avaient tellement eu lieu qu'elle pouvait peut-être avoir appréhendé son comportement mais Celieno pouvait promptement passer d'une attitude extrême à l'autre qu'il devenait alambiqué à concevoir.

-Après avoir récupéré ses orteils, nous partirons à la recherche d'une légendaire rivière qui se situerait non loin d'Ellandy. Là-bas, se trouverait des chevaux roses fluorescents aux tendances nécrophages qui, s'ils mangeaient un orteil, accorderaient n'importe quel voeu désiré. Je ne te parle pas des ânes coruscant et indissolublement détraqués que nous découvrirons.

Le jeune garçon avait invoqué pas mal de stupidités ainsi qu'une légende qui dépassait que très légèrement le cadre de la rationalité... Evidemment, son interlocutrice n'avait que très peu de chance de se méfier de ses affirmations et devraient vraisemblablement croire en tout ce qu'il disait. Cela paraissait on ne peut plus évident. Dès lors, avec un mouvement très hâtif, Celieno saisit Malice par le bras avec une certaine légèreté mais aussi une familiarité qui dénotait une nouvelle fois de toute la galanterie dont il était pourvu.

-Allez, tu dois m'accompagner, des longues aventures nous attendent et nous devons nous hâter !