Négociations [pv Oronte Thrasamund]

Plus la caravane montait vers la baie d’Anary, plus le temps était clément et doux, malgré l’hiver s’avançant. Les paysages différaient largement de ceux du sud est du royaume, que Sara connaissait bien. Terre bien moins accueillante et cultivée, les landes s’étendaient à perte de vue. On sentait quelques effluves marins et la brise légère apportée de la mer mystérieuse. Le convoi avançait, cahotant sur la route sinueuse. La ville de Brenecht grossissait au fil des lieues parcourues. La haute forteresse se laissait entrevoir, entourée de toits gris et crachant des volutes de fumée grise. La Bredanie était une province bien peu connue de l’Ellandy, pour la bonne raison que la terre ne présentait pas grand intérêt. Cependant, cela faisait plusieurs années que les Malcombe commerçaient avec ces nobles et seigneurs isolés.

Et cette fois, cette année, Sara se joignait au convoi. Installée dans une voiture, elle regardait défiler le paysage, ses beaux-frères cavalant sur les côtés des voitures tels des oiseaux de proie. Le commerce, Sara s’y était un peu intéressée et habituée du temps d’Aivan, et décida de s’y consacrer bien plus depuis qu’il n’était plus là. Ses quelques jours passés à Shyamal lui avaient changé les idées, mais à présent, elle souhaitait partager plus le quotidien des hommes de la famille et des gens qui travaillaient avec et pour eux.

Le voyage durait depuis des jours et des jours, et enfin les portes de la ville s’ouvrirent aux marchands de tissus. De prime abord, l’impression que fit Brenecht sur Sara et les Malcombe ne fut pas des meilleures. Les quartiers qu’ils traversaient étaient tristes et pauvres, dénués de beauté et de raffinement. L’Ellandyenne fut surprise de cette misère apparente. Il était relativement tôt. Des juges et charlatans hélaient la populace. Cependant, cette impression douteuse fut peu à peu remplacée par un sentiment bien plus rassuré, à l’entrée dans les quartiers plus nobles, plus beaux et propres, soignés dans l’apparence.

Mais les habitudes firent continuer leur route aux commerçants, qui se hâtèrent vers les portes de la haute forteresse. Agnan, le jeune frère d’Aivan parla aux gardes d’une voix sûre et habituée, presque lasse. Après quelques palabres, ils furent autorisés à entrer, et la lourde porte fut soulevée sous les cliquetis des chaînes et le grincement des rouages. Une fois entrés, toute la troupe descendit des voitures et entreprit de sortir les paquets de tissus finement tissés, brodés et cousus. Ils furent ensuite menés au cœur du donjon, où on les présenta au seigneur de la ville. Un homme dénommé Oronte Thrasamund. D’un âge avancé et de carrure imposante, Sara déglutit en silence avant d’oser s’approcher de sa personne intimidante et austère. Elle s’inclina brièvement.

-Seigneur, je me présente, Sara Malcombe, épouse de feu Aivan Malcombe. Nous avons ici des étoffes qui je l’espère pourraient fortement vous intéresser.

Elle désigna d’un mouvement souple du bras les hommes de main qui posèrent leurs rouleaux de tissus à terre et entreprirent de les déballer, avant de reporter son regard sur le seigneur bredanien.

[j'espère que ça convient, si un truc va pas dis le moi je rectifierais ^^]

Oronte Thrasamund, apôtre de la bienséance des terres Clothongianne, ne rechignait jamais à accepter sous son toit toutes sortes de margoulins, non content de le divertir, ces "brigands en habits", comme il avait coutume de les désigner, apportaient souvent des raffinements de qualité qu'il était aisé de dérober. Il était de coutume, chez les Thrasamund, de sectionner au coutelas rouillé les doigts des camelots faisant montre d'une ladrerie coupable. Mais Oronte ne pouvait guère se résigner à laisser poursuivre des pratique si éminemment contraire aux lois élémentaires du commerce, aussi montrait-il un visage affable aux débitants venus de sauvages contrées afin d'exposer à ses yeux experts, les produits de leur pays. Les plantons n'en étaient que trop conscient et c'est pourquoi ils ne se livrèrent pas à la fouille protocolaire et systématique à laquelle sont soumis les étrangers désirant s'entretenir avec le divin autocrate, sans faire plus de façons, ils conduisirent la petite troupe jusqu'à la salle du trône.

Oronte était adossé à son trône, un parchemin entre les doigts, visiblement plongé au coeur d'une réflexion intense. Il n'y avait que quelques minutes en effet que le civil seigneur avait mit un point final à une élégie qui ferait date dans l'Histoire de la dramaturgie Bredanienne. Il la parcourait du regard, fiévreux, le soulèvement de son sourcil droit semblant trahir un soupçon de doute. L'esprit plongé dans l'abîme de perfection artistique qu'il venait de créer, il ne perçut pas les importuns qui osaient ainsi lui demander audience et ce n'est qu'à la voix de la jeune femme qu'il releva lentement le chef.

Il se trouvait particulièrement bien mis en ce jour des esprits salvateurs bruissants. Non content de s'adonner à la poésie théâtrale empreinte de mélancolie, il recevait le soir même le tout-Brenecht à l'occasion du festin que recquiert cette date illustre. Son chapeau orné d'une plume d'oie frétilla à la vue de la petite trafiquante. Elle n'avait en rien l'allure malsaine, grasse et putride de la Clonthogianne lambda, non. Son délicieux minois lui faisait d'ores et déjà penser aux quenelles de dinde, au pain de seigle épicé et à la sauce aux champignons de la mère Grobingue, il salivait, ce grand homme.

Soucieux de son prestige toutefois, il ne manqua pas de garder bonne prestance et de toiser avec un mépris acide mais courtois la silhouette gracile qui s'inclinait devant lui.

Contemplant les hommes de main accomplir leur besogne, un sourire, ou devrait on dire, un rictus se dessina sur son visage.

"Bienvenue dans ma très humble maison, Sara Malcombe." Commença-t-il du ton le plus précieux que l'on puisse trouver chez un homme déjà presque caduc.

"J'achète tout" ajouta-t-il, l'air las, joignant à la parole un geste vague en direction de la marchandise. "Mais quand je dis tout madame Sara Malcombe, cela comprend aussi vos chiens d'esclaves, sans cela, j'ai bien peur que vous ne repartiez sans une pistole de ma part."

Oronte sourit.

"Ma demeure est la vôtre. Vous pourrez y séjourner aussi longtemps qu'il vous plaira. Il n'est guère dans les habitudes de mes domestiques d'avoir à traiter avec une si délicieuse créature, mais je suis convaincu que vous leur pardonnerez leur caractère parfois un brin rustique. Je suis moi-même souvent heurté par leur comportement, lorsque l'on ne peut réformer, l'on doit composer, vous connaissez cette maxime populaire je gage. Ce soir je donne une petite réception et je souhaiterai vous y voir, vous ne refuserez pas ce plaisir à un excellent client!"

Et ce disant, Thrasamund était descendu de son trône pour venir s'entretenir au plus proche de Sara.

Sara toussa lorsque le seigneur lui annonça d’une voix lasse qu’il comptait lui prendre tout son chargement, serviteurs y compris. Elle prit un air indigné, bien plus que purent l’être ses hommes. Ses yeux se firent rond l’espace d’une seconde et ses sourcils se froncèrent. La bourgeoise prit une inspiration, avec la ferme intention de protester, malgré la condition émise par le seigneur. Sa voix résonna presque dans la vaste salle.

-Monseigneur, pardonnez moi mais mes hommes ne quitteront pas mon service !

Comme la ménagère en colère contre les enfants couverts de boue qui entrent dans la maison au sol fraîchement lavé, Sara campa ses mains sur les hanches et afficha un air renfrogné.

-Intéressez vous au moins à ce que j’aurais à vous vendre, plutôt que me proposer un tel accord sans même voir de quoi il s’agit. Par unique respect envers le travail des miens. Mais si vous consentez à faire un effort, vous tirerez sûrement un prix acceptable de ces soieries et broderies sans acquérir mes hommes du même coup.

Elle ne flancherait pas. Elle accepterait sûrement le prix posé par le seigneur Thrasamund, car vendre d’un coup tous ces rouleaux était une aubaine à ne pas manquer. Mais jamais elle ne cèderait ces hommes qu’elle payait et qui avaient l’habitude du métier, depuis les générations pour certains qu’ils travaillaient au service des Malcombe.

-Engagez plutôt ces hommes et femmes qui traînent, miséreux, dans vos rues, au lieu de vous payer le luxe d’hommes déjà possédés et non habitués à votre climat.

Avait elle tord de contredire et conseiller ainsi un homme venu au monde bien longtemps avant Sara ? Peu lui importait. Aivan lui avait appris à négocier, à ne pas se laisser faire par les clients qui parfois en voulaient plus que pour leur argent. Elle écouta sans broncher la proposition d’Oronte bien qu’elle sentit ses joues s’empourprer lorsqu’il parla d’elle en termes de « délicieuse créature ».

-Je vous remercie monseigneur pour votre hospitalité. Votre façon de diriger vos obligés et serfs ne regarde que vous, je ne suis point admise à parler de ce genre d’affaires. Je serai honorée d’être votre invitée. Je ne puis en effet vous refuser cela.

Grands dieux quelle outrecuidance ! Mais quelle outrecuidance ! Elle osait rétorquer, la retorse creature, devant lui, dans sa propre maison et devant ses plus fidèles... Oronte fut saisi par l'audace de cette femelle qui n'aurait jamais du quitter sa condition de blanchisseuse/preparatrice de bons petits plats/ poche a semence, pour s'engager dans un metier qui exige des qualités que ne possedent, et c'est malheureux, que les representants de la gent virile. La ribaude semblait chercher la chiquenaude, elle refusait ostensiblement toute forme de commerce de ses suivants serviles...

L'autocrate n'en perdit toutefois pas pour autant sa belle humeur. On pouvait humer avec delice dans l'auguste salle le succulent parfum de la violence larvée. Lorsque la folâtre amazone en vint a oser affirmer peremptoirement que des misereux trainent dans les rues de Brenecht, toute la garde degaina a l'unisson, prete a venger l'honneur souille de leur maitre venere et la luxueuse capitale.

Oronte, gentleman autant que bon prince ne donna guere de signe belliqueux à ses reitres pour les enjoindre à conclure à la Bredanienne cet incident. Il s'approcha encore davantage de Sara. Le bel homme, madré comme chacun sait, la toisa l'oeil sec et d'un geste brusque la gratifia d'un soufflet à décoller les gencives du plus rustaud des gaillards du pays. Sous ses dehors affriolants, la dame n'avait pas l'heur de plaire à Oronte. Elle lui rappelait (les mânes seules savent pourquoi) les navires branlants et nauséeux qu'il avait du emprunter lors de sa jeunesse aventureuse, qui fendaient l'écume fièrement sans même prendre garde à la souffrance qu'ils causent en leur propre sein.

Oui, le grand Thrasamund était meurtri dans son âme de se voir ainsi rabaissé par une gueuse, foraine aux moeurs sans nul doutes dissolue à voir l'escorte masculine dont elle s'est fait un cortège.

"Odalisque que tu es, tu te vois bien en veine que je ne sois pas d'humeur à faire couler le sang..." Tonna-t-il d'une voix si puissante que les portes en tremblèrent presque.

Oronte se redressa de toute sa taille :

"Vous me couvrez d'opprobre, vous ne savez visiblement pas qui je suis". Sa voix s'était radoucie.

"Je ne puis nier que vos allégations ont quelque fond de vérité pourtant, et il me fait grand plaisir de contempler enfin en ces murs une personne capable d'assez d'honneur pour me tenir tête sans flagorner à l'envi. Une femme! Ha! Mais ne vous avisez pas de demeurer aussi pédante et bravache que vous l'êtes. Peu me chaut de vous ouvrir les tripes à vous et à vos chiens et de vous laisser gésir ici jusqu'à ce que les doigts glacés de la mort vous entraînent dans l'empire des esprit, vous libérant de tourments qui vous auront semblé durer une éternité. Après quoi je n'aurai plus qu'à me baisser afin de récolter vos précieuses tisseries" Il marqua là une pause, savourant son effet, son ton était désormais aussi benoît qu'il se peut.

"Mais soit, je vous laisse de bon gré vos escogriffes de porteurs et de servants, je n'en ai cure et vous m'avez bien agréablement diverti. Vous comprendrez qu'ils ne seront point convié au festin de ce soir, celui-ci se faisant entre gens de qualité. Bon et bien, vous vouliez m'interesser à vos seuls produits, alors faîtes donc avant que l'envie ne me passe de vous entendre... Qui vous fournit, d'ou venez vous ainsi et quel genre d'homme était votre mari?"

La magnanimité d'Oronte émut certains gardes qui, adulateurs de justice inique et preste, auraient imaginé le vénérable autocrate mettre fin à le vie d'errance et de marchandage de Sara d'un civil coup de hache. Epoustouflé par tant de bonté, ils applaudirent tous en choeur, arrachant un sourire satisfait à leur maître qui partit se rassoir sur son trône qui n'avait jamais été aussi honoré de soutenir ce divin fessier qu'en cet instant.

Le seigneur Bredanien s’était redressé de toute sa hauteur, dominant ainsi la marchande qui leva les yeux pour voir son visage dur. La voix forte et dure de l‘homme résonna contre les murs de la vaste pièce. La respiration de Sara se fit quelque peu saccadée. La giffle reçue brûlait la joue de la bourgeoise qui passa sa main fraîche dessus. Son air s’était renfrogné mais restait dénué de toute trace de défi, car Sara connaissait un peu la brutalité des hommes lorsqu’on osait leur lancer défi. Et ces contrées fort peu accueillantes ne pouvaient abriter que des hommes hantés par un désir belliqueux. Elle n’eut rien à répondre à la tirade de l’homme qui la toisait de son regard sévère. Ses mots auraient probablement dépassé sa pensée, au détriment de sa diplomatie.

Le ton radouci, il ne se ravisa pas de sa proposition d’inviter Sara aux festivités qu’il avait organisées et il l’enjoigna à parler de sa marchandise. De quelques mouvements de la main, Sara fit dérouler les tissus par ses serviteurs. Sa voix s’était faite un peu plus distante.

-Seigneur, vous trouverez là des soies, des broderies et des damas que rarement vous aurez vu et l’occasion de voir. Nous sommes seuls fabricants de ces pièces uniques et raffinées. Les tisserands sont au service propre des Malcombe. Notre humble cité d’Angol vit principalement de ce travail des étoffes. Le climat frais qui y règne ne permet pas beaucoup de travail en extérieur.

Elle fit monter quelques pièces à Oronte Thrasamund, rassit sur son trône, l’air fier, afin qu’il les examine de plus près. Elle-même évitait de croiser son regard calculateur, préférant rester concentrée sur sa présentation. Elle restait hésitante à parler d’Aivan.

-Je vous en prie, dites moi un avis. Les gens de la noblesse de Shyamal sont admiratifs de notre travail, qu’ils jugent d’une extrême et rare qualité. Vous avez ici de quoi faire des tentures, des vêtements ou encore des nappes ou des draps.

Sara passa alors la main dans une étoffe d’un bleu myosotis, satiné et renvoyant des reflets violacés selon le jeu de lumière. Il avait servi à élaborer sa première robe en tant que Malcombe. Aivan en avait fait la commande dès leur arrivée à Angol.

-Mon mari fut un homme bon, généreux et honnête. Mais presque toujours parti sur les routes pour promouvoir et protéger notre marchandise. C’est ce qui l’a perdu. Une bande de brigands qui ne firent cas de mon pauvre époux.

Elle baissa son regard encore une fois, fixant la toile légère. Une larme roula sur sa joue. Une seule, la première depuis le décès d’Aivan.

Oronte jeta un oeil indolent aux draperies qui promettaient grand arroi et merveille à en croire les allégations de la marchande de tapis.
Il faut bien confesser que le patelin maître des lieux appréciait à peu près également discuter chiffon avec une métèque que nager dans les eaux saumâtres du port de Gaalghoven avec des marsouins clothongians.

Elle l'entretint des lointaines cités sauvages qui pullulent et infestent le midi, de contrées si reculées que les seules mentions qui y sont faîtes dans la littérature Thrasamundlundienne sont les peintures rupestres des gorges de Sépulkrul, la nécropole antique de l'extrême septentrion. Angol et Shyamal, y sont peintes comme des terres d'une fort étrange et monstrueuse nouveauté. Leurs citadins, effroyables hydrocéphales dotés d'aussi peu de scrupule que leur condition de barbare le permet, auraient pactisés avec forces diables et créatures abominables. Le cruel marché qu'ils conclurent mena les monstres à fournir les indigènes en sang frais en échange de quoi ils se livraient à 'un culte idolâtre en leur honneur.

Perdu dans le fil de ces pensées, Oronte s'ennuyait ferme. Un discret regard sur les formes plantureuses de son hôte lui redonna quelques couleurs, mais le chagrin que lui causait l'existence de bourgs si impies n'était pas prompt à s'évaporer. Alors Malcombe en vint à lui demander ce que son oeil d'expert avait déduit de l'observation attentive des tissus déroulés à ses pieds. Il se rengorgea un brin. Il n'était pas aisé de se prononcer, des draps plaisants et confortables, à n'en pas douter, mais n'était il pas pourtant hérétique de porter un jugement similaire à celui d'un peuple de vampire adulateurs de diablotins?

" Ils sont bien bons", avoua le suzerain.

Sara en vint alors à aborder le thème fort plaisant de son époux défunt.

La condition féminine restera à tout jamais une arcane des plus indéchiffrables. Oronte contempla Sara traverser à tâtons le fragile pont d'os qui relie les bords de l'insolence la plus aveugle à celles de la douleur morale. Sa larme semblait creuser une tranchée au coeur de la rayonnante harmonie de ses traits. La mélancolie couvrant d'un voile nouveau la fragile créature, le brave autocrate fut saisi, et il en aurait presque regretté l'emplâtre dont il l'avait généreusement gratifié. Apprenant le trépas que lui avaient reservé les canailles, Thrasamund leva les mains au ciel, l'air pénétré.

"La peste soit des suderons et de leurs abjectes façons!" Hurla-t-il, sortant de sa réserve.

"Si il y a une chose sous le ciel que j'honnisse de toute mes forces, c'est bien que l'on ose faire montre d'une cruauté injuste envers d'honnêtes camelot!" poursuivit il, le phrasé théâtral.

C'est par de tels témoignages de détresse que l'on saisissait l'horreur que propageaient ceux du midi qui s'osaient encore revendiquer le titre d'hommes. Même les cloportes ont des manières plus civiles.

"Au cours de mon existence, noble rombière, je n'ai jamais cessé de traquer les méchants jusque dans leurs repaires les plus clandestins et les plus ténébreux. J'ai fait de Brenecht la place la plus sécure qu'oncque ne vit sous le soleil de toute les terres emergées, les faiseurs d'embarras y pendent au bouts de cordes. J'ai écris un recueil des canons les plus congrus et j'entend les faire respecter pour jamais. Je suis troublé par le récit de vos indicibles maux, mais gardez en mémoire que la sournoiserie des ruffians ne frappe jamais jusqu'à ses portes-ci."

Galvanisé par son discours et se remémorant les précèptes humanistes que l'on lui avait inculqué lors que son âme était encore verte, il se vit en pourfendeur des sauvageries barbares. Le crime serait vengé, d'une façon ou d'une autre.

" Soyez mon hôte tant que vous le désirerez, margouline, votre souffrance voit sa fin en ces murs. Votre mésaventure a touché l'assistance ici présente. Aussi, j'acquiers ce jour la totalité de vos belles étoffes pour le prix que vous jugerez le plus juste, voyez avec mon maître du trésor, s'il émet des réserves je le châtierais comme la raison l'exige. De bon coeur, point trop n'en faut en affaire, vous connaissez ce dit"

Il s'approcha de Sara et l'enlassa de la façon la plus paterne qui soit, puis, lui ébouriffant la toison, il lui adressa un sourire jovial.

"Que comptez vous porter pour la réception de ce soir? J'ai une collection de robes fort seyantes ayant appartenus à ma défunte épouse si le besoin vous en dit. Vous nous ferez l'honneur de votre présence je l'espère et j'ose croire que vous demeurerez ici un long temps."

Le haussement de voix soudain du seigneur Thrasamund fit sursauter Sara qui laissa échapper un hoquet de surprise. La puissance de sa voix était terrible, et Sara se demandait maintenant si elle avait eu raison de lui tenir tête, plus tôt. Il maudissait bel et bien les honnêtes gens du sud du royaume. Et Sara fronça les sourcils pour comprendre ces paroles étranges. On lui avait peu conté sur cette région ellandyenne qu’était la Bredanie. Par la suite, il lui assura qu’ici, dans ces contrées pauvres et reculées, les hommes aux mauvaises pensées étaient punis.

Le visage de la bourgeoise se ferma lorsqu’il la traita de rombière. Un adjectif qu’elle n’appréciait que peu. Mais elle se retint de répondre à son hôte, car peut être qu’une fois passait, mais deux, non. Et elle tenait à garder la vie sauve. Il repassa alors aux négociations. Il était toujours décidé à tout lui acheter. Sara s’inclina devant l’homme.

-Merci seigneur. Mais mon mari est mort comme il l’a souhaité : combattant pour défendre ce qui lui était cher, en partie. Les larmes que vous pouvez voir là ne sont que le résultat d’une longue abstinence à la tristesse.

Puis elle se tourna rapidement vers son beau-frère et parla d’une voix douce, calme et basse.

-Agnan, occupe toi de ces négociations avec le trésorier, tu connais bien mieux les prix que moi. Mais ne sois pas trop gourmand. Ce seigneur n’a pas l’air d’aimer la traitrise et le mensonge.

Elle se retourna vers le seigneur, qui l’enlaça comme un père avec son enfant. Cet homme ne cessait de la surprendre, et cela ne faisait pas longtemps qu’ils avaient fait connaissance.

-Monseigneur, je suis honorée… mais une robe ayant appartenu à une défunte… Cela dit je doute que mes robes de roturière conviennent à une fête donnée pour des gens de haut rang. Peut être alors me permettez vous de me faire coudre une robe qu’il vous plaira à me voir porter. Avec l’une de ces étoffes que vous venez de m’acheter. Mais je ne peux vous garantir que je resterai longtemps à vos côtés. Je me suis promis de voyager tant que j’en avais l’occasion, et de voir le royaume entier. Et puis nous avons des stocks de marchandises à remplir.

Sara osa regarder le grand seigneur dans les yeux, qu’elle voyait sévères.

» Oronte Thrasamund