Où l'on discute de la capture du roi aux jeux fijnii

Une semaine. Une semaine déjà que le roi vivait au sommet du donjon Svade, retenu captif après une querelle qui l’avait opposé au prince du Svadlünd. Dès le lendemain de la rixe, Hagen avait pris les mesures qui s’imposaient. Redoutant la réaction de ses pairs, il avait fait envoyer des bateaux et des estafettes – les plus rapides – aux quatre coins de la Bredanie pour sonder les réactions des différents princes du pays. Les instructions avaient été claires : requérir une audience privée et entretenir chaque seigneur de l’affaire qui s’était déroulé dans le manoir des Svade. Les messagers, à chaque fois, avaient été sélectionnés avec un attention, et nombre des fils d’Hagen avaient été envoyés sur place, chargés de transmettre les amitiés de la maison Svade à ses sœurs. Breda, Aïmgaard, Brenecht et bien d’autres avaient été choisies principalement, et on avait envoyé les émissaires les plus compétents et les plus illustres de la famille Svade, ainsi que les cadeaux qu’il sied d’envoyer lorsqu’on requiert le conseil des puissants.

Bien qu’angoissé par les différentes réponses qu’il aurait pu recevoir, Hagen fut rasséréné de savoir ceci fait. Bientôt, il aurait un vague avis de la position bredanienne sur cette épineuse situation. Lorsque les messagers revinrent enfin, certains étaient accompagnés des ambassadeurs des autres maisons. Les avis étaient un peu mous, mais Hagen put calmer ses craintes. Ceci fait, il décida de faire mander tous les seigneurs de Bredanie à Fijn, où il organiserait des jeux sacrés. Ces jeux-ci étaient très répandus et très appréciés parmi les Bredaniens. Les plus importants étaient fixés à des périodes fixes, qui étaient la conséquence de quelque fête religieuse. Cependant, du fait de l’attrait qu’ils exerçaient tant sur les seigneurs (qui pouvaient, en les organisant, prouver leur piété et démontrer leur richesse) que les guerriers, navigateurs, bardes, cavaliers, les jeux irréguliers étaient nombreux. D’ailleurs, la tradition s’était créé d’organiser des jeux sacrés lorsque les grandes réunions de maisons bredaniennes s’imposaient. Cela permettait aux vassaux de briller lors des différentes épreuves et aux seigneurs d’être assurés qu’aucune trahison ne serait produite, car la menace du sacrilège pesait au dessus de chaque tête.

D’un autre côté, il avait ordonné à ses vassaux de se rassembler à Ivdrer au même moment qu’il avait fait envoyer des estafettes à travers tous le pays. Il voulait que tous arment leur flotte et lèvent les armées. Enfermer son suzerain dans un donjon n’avait jamais été bien vu, bien qu’en Bredanie, la chose était souvent relativisée. Cependant, il préférait parer à toutes menaces et avoir une longueur d’avance si ses pairs se mettaient en tête de délivrer le roi et, ainsi, réduire à néant sa maison. De plus, il pouvait ainsi avoir une armée prête pour une expédition contre le royaume d’Ellandy, lequel ne devait pas encore être au courant des agissements d’Hagen et de la félonie qui avait envoyé Ibadric l’Ellandien dans un cachot ivdrien.

Mais là n’est pas la question. Hagen arriva bien vite à la sainte ville de Fijn, accompagné de six bateaux Svade. La ville, plusieurs jours avant sont arrivés, avait vu pullulé toutes sortes d’hommes prêts à en découdre pour la gloire de leur famille ou à cause de l’appât du gain. De nombreuses maisons étaient déjà présentes, souvent en nombre et couvertes de leurs couleurs caractéristiques.

Oronte fumait le pipoton d'un air détaché. Il ne semblait guère tracassé par le soulèvement des purotins du faubourg Gugglekü, il en plaisantait même volontiers avec son conseiller, le mystique Eudes-Igorhel. Il ferait promptement donner la milice civile et leur sang se mêlerait bientôt aux déjections canines, équestres et humaines qui parsèment le de Gugglekü sol peu sensible aux charme de l'hygiène. L'autocrate, son délice fumeux achevé, se leva à contre-coeur de son trône et pris place sur le fier "posecul" richement décoré qui prenait place devant son bureau. Il leva l'index, le regard vide. Aussitôt un jeune page s'empressa de lui porter un modeste parchemin. Un sourire acre se dessina sur le visage d'Oronte.

Le suzerain se trémoussa un instant sur le munifiscent posecul puis saisit sa plume. Il s'en fallut de peu qu'il ne parapha cet ordre d'execution des purotins.

Le héraut, tout en rudesse, se chargea d'introduire un importun.

" Vlà eul' batard des Svaad vot" selgneury", annonça-t-il, l'air pénétré.

Thrasamund soupira profondément et ordonna avec force conviction :
"Hmmm eh bien puisqu'il a cru bon de faire halte en nostre maison, qu'il y pénètre.

Oronte ne portait pas en très haute estime Hagen Svade mais il savait qu'un Bredanien aussi influent pouvait toujours se révéler être un relation opportune. Il jugeait comme hautement barbare les coutumes infectes de ces ladres qui osaient prendre plusieurs épouses et qui les honoraient en maints endroits. L'austère morale instaurée en Thrasamundlünd depuis son avènement avait profondément changé les moeurs, du moins à Brenecht. Le point le plus délicat, en fait, était probablement que la maison Svade se trouvait maîtresse de plusieurs îles et d'une seigneurie côtières. Le dégout et la crainte que lui inspirait l'eau rejaillit donc sur cet empire accessible presqu'uniquement par voies maritimes. Ces rustres marins étaient la lie de la Bredanie mais, en habile diplomate, Oronte savait la bonne figure à arborer devant les innombrables fils d'Hagen.

L'autocrate crut avoir attrapé la berlue lorsque le jeune rodomont lui fit savoir que son père l'avait convié à une réunion politique sur une île. N'ignorant pas son handicap, Svade avait donc décidé de le tourner en ridicule! Et ce en lui demandant conseil par dessus le marché! Excédé, il renvoya le jeune homme (pourtant bien mis) et se mit à réfléchir.

L'affaire concernait le roi, ce noble lointain qui disposait d'une suzeraineté toute théorique sur le glorieux territoire du septentrion extrême. Il était retenu contre sa volonté dans les geôles inconfortables de son voisin. Il faudrait passer outre la division pour cet événement mais laver l'affront dès que possible. Oronte ordonna à son sénéchal, le patriote fanatique extremiste idéologue de guerre déviant, Horace Hillbruck qui mata la révolte des Hallotins aux temps de disette, de se rendre en grande pompe au royaume du fat. Sitôt dit, l'administration admirable de Clothongia fit son oeuvre et le lendemain la fanfare officielle autocratique et 40 cavaliers en costume d'apparat portant fanions, écus et écussons, étendards officiels prenaient la routes armés de saufs conduit et d'un ordre de réquisiton de 2 galions de transport lourd.

Après un périple douceâtre au gré de l'eau calme du nord et des paysages arides des contrées nordiques du thrasamundlünd, l'équipée arriva au port de Fijn, en proie à une agitation commune lors des jeux Bredaniens, événement auquel il convenait de participer sous peine d'encourir le courroux divin et les railleries des autres contrées.

Les nobles gardes à cheval et la légion de fanfare se mit en place avec à leur tête le sénéchal, digne, le port altier et les dizaines de médailles de son veston d'apparat pesant sur ses larges pectoraux. Les premières notes claires des cors se firent entendre alors que les tambours les soutinrent et tout sembla alors se figer dans cette ville damnée. La procession débuta sur la grand route. Les étendards furent portés hauts et les marches d'honneur, marches autocratiques, et marche des esclavagistes firent trembler les murs vétustes de la cité portuaire. Quelques enfants vinrent applaudir le défilé, des étoiles d'argent brillant dans leurs yeux.

Malheureusement le chemin jusqu'au palais Svade est court et la gloire de Clothongia ne put être célébrée que quelques dizaines de minutes.

Sitôt parvenu devant les augustes portes, Horace se tourna vers les badauds qui avaient emboité le pas de ses hommes et leur cria.

"Suite à l'affront odieux fait à notre peuple et à son autocrate, nous déclarons solennellement que l'Etat esclavagiste autocratique vassal Ellandyen de Clothongia-Thrasamundlünd ne participera pas à ces funambulesques envolées ludiques"

Sur ces entrefaits, à Brenecht, la vie suivait son tortueux chemin, celui qu'elle a coutume d'empreinter lorsqu'elle se heurte à la rudesse d'une contrée qui n'a, malgré les fards qu'elle arbore pour paraitre civilisée, pas une once de douceur dans le fond de l'âme.
Ainsi donc, sur ordre de l'autocrate, le fils de Svade fut mis aux arrêts sur accusation de perversion de la morale publique et haute insulte à la personne d'Oronte alors qu'il honorait la ribaude rue de Grij. Par malheur, le drôlet n'eut pas le loisir de visiter bien longtemps les caveaux de Brenecht puisque le jour même il eut droit à un procès équitable au terme duquel il fut condamné à être pendu par les bras en place publique jusqu'à ce que mort s'ensuive. Il fut précisé à la population que des rations de nourriture supplémentaire seraient genereusement distribuées à celles et ceux qui iront heurter le supplicié, même si cela engendre le décès dudit personnage un peu trop promptement.

Le divertissement valait bien 100 jeux bredaniens, et, satisfait, l'autocrate eut enfin le loisir de signer la mise à mort des purotins agités, souriant benoîtement à l'écoute des vivas de la foule qui moquait le Svade non loin de son palais.

Comme il était de coutume à Breda, l’ambassadeur svade, un lointain parent, fut introduit auprès du vandaaglündlyrgër dans l’une des salles d’eau de son hôtel particulier, ces entrevues informelles ayant l’avantage, selon le maître des lieux, de lui octroyer plus de libertés dans les promesses, toutes relatives, qu’il pourrait être amené à faire. Et c’était aussi, à dire vrai, foutrement plus confortable que de rester assis de longues heures durant sur un trône aussi imposant qu’inconfortable.

C’est en conséquence face à un comité restreint, Wart, quelques uns de ses vassaux ainsi que des ménesses chargées de les divertir, que le plénipotentiaire s’exprima. On lui assura la présence de la maison Vandaag à ces jeux, honorer les Vingt-Trois étant le devoir de tout bon fidèle et l’on prit soin de lui rappeler à quel point l’ont savait, à Breda, se montrer pieux. Puis il fut vaguement question de ce que l’on nommait « l’affaire royale », mais les commentaires se firent évasifs. C’était un problème Svade, pas bredanien. Un vavasseur déclara même, non sans sagesse que « le sieur ambaseor auroit moult mieux à faire, en lieux et place d’ambassader, d’engager quelque culetage auprès des damaisels avec qui il pourroit putayner tout son saoul plutôt que nous épuiser les esgourdes ! »

Et ainsi fut dit, ainsi fut fait.

Dès le lendemain, des estafettes s’en allèrent à travers tout le vandaaglünd afin de colporter la nouvelle et de rassembler les champions qui se rendraient à Fijn. Il fut également question de cargaisons d’acier qui, à n’en pas douter, trouveraient preneurs sur l’île et pourraient y pénétrer en échappant à quelques ennuyeux droits de douane. En bref, il s’agissait avant tout de fanfaronner devant ses pairs tout en remplissant ses coffres. Ce fut donc une fière coterie, aux étendards aussi nombreux qu’orgueilleux, qui prit la mer, la semaine suivante, à bord de sept navires (les Vandaag ayant appris que les Svade en amenaient six, il convenait de les surpasser) dont trois cogues aux cales remplies des merveilles du Jarnlünd. Le voyage n’étant guère long, il y fut surtout question de chants et de rodomontades si bien qu’à leur arrivée le lyrgër, les joues rougies par l’alcool, scanda« Mes braves : à nous la victoire au pancrace à l’huile fijnois ! », en leur remémorant l’importance de cette épreuve sacrée parmi les sacrées.

« FOUDREE PANTOUFLE ! » répondirent les champions, en braillant le nom légendaire du Vaisseau d’Ecailles à bord duquel le héros de nombre de contes populaires, Bhau le Oint, traversa sans encombre le royaume des perfides hippocampes.

"-Poussez donc !", beugla Wilhelm en coordonnant les efforts de ses hommes depuis l'arrière du drakkar.

Les rudes Bredaniens poussèrent un grognement bestial en lançant les uns après les autres les navires à la mer. Labourant la vase de leurs pieds épais, ils étaient tous arc boutés sur leurs prises pour mettre à flots les boutres, avant de grimper lestement à leur bord. Les voiles claquèrent violemment en se levant dans cette fraîche brise matinale, avant que les huit navires de la délégation du Nordhallünd ne commencent à fendre les flots vers Fijn.

On avait fait fort vite pour partir dès que possible rejoindre les jeux. Les champions se voyaient déjà couverts de gloire, d'huile et de sang. Les archers inspectaient leurs longs arcs d'if qui avait fait leur réputation, tandis que les guerriers les plus musculeux se livraient à des exercices de force. Quoique la majorité des archers étaient de fait des colosses. Pour tendre ces monstres de cent quarante livres, il fallait une solide constitution et des années d'entraînement.

Au côté de Wilhelm se trouvaient Kurt et Helman, ses deux frères cadets. Kurt était l'archétype de la brute épaisse, qui comptait bien donner du fil à retordre aux champions Vandaag pour le pancrace à l'huile fijnois. Helman quant à lui se préoccupait plus des issues politiques de l'évènement...cette affaire avec le Roi était des plus grave, et à prendre avec précaution. La conduite que les seigneurs Bredaniens allaient tenir dans les jours à venir ouvriraient une nouvelle page de l'histoire du Septentrion.

"-Gotdämmit," grogna le seigneur Nordhal à l'adresse de ses frères,"ce Svade ne cessera donc jamais de nous surprendre...
-Il faudra manœuvrer avec précaution," rajouta Helman sentencieusement

Et la flottille de cingler toutes voiles dehors, vers Fijn !

Un ou deux journées étaient passées depuis que le seigneur Svade était allé s’enquérir de l’avis des augures sur le sujet. Il ne s’était jamais montré avare avec cette clique, que beaucoup (trop) de Bredaniens écoutaient avec piété dans tout le Septentrion. Ce n’était pas des hommes à se mettre à dos, et depuis que sa maisonnée avait conquis les îles sacrées, il avait pris garder à ne jamais offrir autre chose à ces puissants oracles qu’un visage soumis et des présents dignes de rois. Cultivant d’autant plus la sympathie intéressée des prêtres et pour l’occasion des jeux, il avait offert de nombreuses et nobles bêtes à Ulhmer, le dieu dont ils étaient la bouche. Les augures avaient été bons, très bons. Hagen, ayant souhaité recevoir l’accord du clergé avant les discussions avec ses « frères », était ainsi assuré de leur soutien, ce qui pourrait faire peser dans la balance les différentes opinions des autres seigneurs.

Il était donc d’une humeur modérément heureuse lorsque les jeux commencèrent. Les premières épreuves étaient mineures. Le lancer de hache avait été remporté par un de ces seigneurs de la mer qui n’étaient l’homme d’aucune des grandes maisons, mais le lancer de javelots avaient été prises haut la main par un Svade, lesquels excellaient dans cette pratique martiales. Des heures durant, la cité de Fijn se gonfla d’une foule immense. Marchands, reîtres et seigneurs s’étaient donné rendez-vous pour l’occasion. Les jeux étaient un nœud de guerriers et d’argent. Des sommes faramineuses passaient de main en main à une vitesse fulgurante, et dans ces épreuves, le plus petit guerrier venu des campagnes clothongiennes pouvaient repartir avec six bateaux (voire la gorge coupée).

Cela n’intéressait que peu le seigneur Svade, bien qu’il ait dû avancer quelque fonds pour les festivités, comme toujours. Il s’occupait plutôt de voir quelles maisons avaient répondu à son appel, aussi urgent fut-il. Déjà trois des grands seigneurs s’étaient donné rendez-vous, bien que les Thrasamund et les Vandaag se montrèrent d’un grand scepticisme sur le sujet royal. Les Nordhal ne l’avaient pas encore entretenu sur cette affaire, mais Hagen espérait beaucoup de leur petite discussion. Wilhelm s’était toujours montré assez… vorace. La guerre était sa plus exigeante maîtresse, et il lui sacrifiait tout avec la passion irraisonnée de l’amant. Et elle le lui rendait bien. Si le Svade arrivait à se mettre cette maison dans la poche, ses forces en seraient décuplées et sa position politique plus assurées.

Sans plus attendre, il alla à la rencontre du chef des Nordhal et lui fit bon accueil. Après un jour de combats et d’épreuves, il le retrouva et l’invita à sa table, où ils firent bombance. Bientôt, le seigneur Hagen, avec la rudesse qu’on lui connaissait, interrogea Wilhelm sur le sujet qui les intéressait tout deux, n’hésitant pas à parler avec force démonstration du Sud, qui écartaient ses cuisses grasses pour recevoir les fils d’Ulhmer.

Un cadavre flottait dans l'eau. Le corps dérivait non loin de l'énorme rocher qui signait la borne de retour pour l'épreuve de nage. Les concurrents en faisait le tour avant de revenir à la côte. Et ce jour là, un impudent avait osé talonner Wilhelm alors qu'il fendait les flots. Le rusé seigneur avait attendu le jeune blanc bec au détour du rocher, pour lui tomber dessus depuis le sommet de l'éperon rocheux. Un féroce corps à corps s'en était suivi dans l'eau, mais le Nordhal avait l'avantage de cette courte lame à glisser entre les phalanges, qu'il conservait toujours dans ses épais cheveux. Ce fut un corps flasque et criblé de coups qui commença à se balancer au rythme des vagues.

"-Traître rocher", soupira Wilhelm en reprenant sa nage rapide et vigoureuse. Le titre lui était tout acquis. La méthode était certes peu loyale, mais il n'était pas tolérable qu'un membre d'une obscure maison vassale remporte le concours non ? Question de prestige !

Il fut de même à l'arc où un pauvre concurrent se brisa malencontrueusement le poignet en glissant dans une flaque de boue ! Fichtre, quel dommage, alors qu'il était le rival le plus à même de contester son titre au seigneur du Nordhallünd !

Tout naturellement, Wilhelm souhaitait festoyer longuement pour célébrer ses victoires, et l'invitation d'Hagen tomba à point. Le vainqueur avala force pâtés de venaisons, harengs fumés et côtes de porc rôties tout en écoutant avec attention son interlocuteur, les yeux brillant de convoitise. Il porta de même forces tostes et libations aux Vingt Trois, à Fijn et au Svade.

De l'or ? Des femmes ? Des pierres précieuses et des pucelles ? Gotdämmit ! Voilà qui ne manquait pas d'être intéressant. Le rustre seigneur essuya d'un revers de main sa barbe graisseuse pleine de miettes avant de répondre au tentateur, pilon de poulet à la main :

"-Foutre ces empaffés du Sud mériteraient une p'tite visite en effet...et le butin...gotdämmit le butin ! Il est temps que le Bredannie montre ce qu'elle a dans le ventre ! Quant à ce jeune enfariné que vous gardez dans vos geôles, je vous fais confiance pour en faire bon usage..."

Les riches cités du Sud brillaient déjà dans la prunelle fourbe des yeux du Nordhal. Des flots de sang charriant de l'or sur fond de ville enflammée et hurlements de pucelles et puceaux défloré(e)s par vingts soudards. Oh oui...

"-Svade...si vous me détailliez un peu tout cela...", demanda Wilhelm d'un ton pour le moins intéressé.

Au fond de son cœur empoisonné, Hagen ressentit du soulagement. La maison Nordhal se tournait dans la même direction que les Svade : vers le sud. Contrairement aux Vandaag et aux Thrasamund, qui s’étaient détourné de ses propositions pour camper dans une neutralité des plus douteuses, Wilhelm le Bref avait pris le parti de l’audace et, si les dieux le voulaient, de la richesse. Satisfait de trouver un allié dans cet océan de scepticisme et d’expectative politique, Hagen fit fête avec la maison Nordhal, temporisant son explication et son plan.

Plus tard, quand la soirée était fort entamée, Hagen prit Wilhelm à part. Ils conversèrent donc sur leurs passés respectifs et le chef des Svade n’hésita pas à rappeler qu’il avait longtemps combattu pour les Suderons. Il connaissait les mœurs des terres ellandiennes comme des autres, et il pensait bien même sa culture au profit des desseins bredaniens. Exposant son plan avec la discrétion de l’intriguant, il reçut moult « Oh ! » et « Ah ! » de la part du pillard, qui n’entendait que peu de choses à la stratégie. Lorsqu’on en vint aux détails, cependant, il se montrait pointilleux et n’hésitait pas à reprendre le Svade sur de nombreux points. L’affaire s’annonçait donc fort bien et Hagen, qui n’avait que de faibles soupçons sur la parole qu’avait donné le seigneur Nordhal, réprima tout au long des jeux un fin sourire que ses hommes liges ne purent s’empêcher de remarquer, tant ces derniers étaient rares, les jours ordinaires.

Durant les jeux sacrés, le Svade repérait avec méticulosité les différentes factions d’hommes libres combattant pour leur compte et, lorsque les grandes maisons les recrutaient, au nom de ces dernières. Sa guerre dévorerait hommes et argent en quantités énormes, aussi Hagen débuta directement le recrutement, espérant renforcer grandement ses effectifs sans faire attention au prix que cela lui coûterait. L’un des principaux seigneurs de guerre qu’il rencontra fut Rohlrik, sûrement l’un des plus puissants capitaines mercenaires qu’il pût trouver ici. Il avait brillé lors de plusieurs épreuves, ce qui avait, naturellement, éveillé la curiosité du seigneur, qui ne tarda pas à mander une entrevue privée avec le grand diable.

Ses pattes velues plongées dans des lamproies en galantines, le vandaaglündlyrgër célébrait avec ses gens, comme il se devait, sa victoire au pancrace fijnois. Son torse, encore tout luisant d’huile rituelle, portait les stigmates des coups portés par ses valeureux (tout du moins aimait-il à le prétendre, afin de rehausser l’importance de son triomphe) adversaires. Certes, une vilaine rumeur colportée par des marauds faisait mention d’un coup déloyal dont Wart aurait gratifié certains de ses adversaires, mais les augures affirmèrent que les combats s’étaient déroulés conformément aux règles établies il y a des éons par le puissant Vadlaakdur en personne. Il n’y avait rien à discuter. Ni ça ni le don que les Vandaag firent aux dits augures, un acte de foi que tout vainqueur se devrait de réaliser, précisèrent-ils.

C’était donc un Wart comblé qui présidait la grand’table dressée au sein du campement vandaag. Il ne manquait pas, à tout instant, d’haranguer ses bannerets tout en postillonnant généreusement l’oie à l’échinée mijotée par son maître queux sur les sires aussi dévoués que, désormais, crépis qui se tenaient à ses côtés. Un témoin se risqua même à dire que « eul’ moustache de not’bon sire en frétille de boneurté ! » Les cornes à boire furent vidées à de nombreuses reprises, le cul des servantes n’eut pas le temps de refroidir entre deux pelotages et on dénombra trois morts suite à une rixe. En un mot comme en cent : on s’amusait.

Cependant, un petit homme à la barbe taillée en pointe (on devinait ainsi le mécréant) vint souffler de perfides paroles à l’oreille du lyrgër qui répondit par un tonitruant « Ah les faquins ! » et aspergea ses gens de potage en écrasant son gros poing sur la table. Habitués à ce genre de frasque, nul Bredanien ne parut se formaliser de l’évènement, d’autant que l’on s’apprêtait à servir les poussins bouillis dans le verjus. Aussi, c’est sans mal aucun qu’il put prétexte un passage bien mérité aux gogues pour s’éclipser.

Le Svade recrutait et il recrutait à tours de bras. Ca, Wart n’en avait cure. Cependant, qu’on annonce qu’il dine seul à seul avec les Nordhal c’était une autre affaire. Chez les Vandaag il était de coutume de dire que, si l’on venait un jour à manquer de place, on n’aurait qu’à pousser les Svade à la mer. Néanmoins, leur nouvelle amitié était une véritable lame dans le dos des Vandaag, une menace directe, voire, une déclaration de guerre (tout du moins, le lündlyrgër jugea que l’argument serait suffisant) Si les Nordhal levaient également le ban et s’entendaient avec Hagen, le vandaaglünd serait menacé.

Convoquant l’un de ses lettrés, Wart lui dicta une missive, à l’attention du sénéchal d’Ellandy, que l’on pourrait restituer ainsi :

Citation :

Au Sire de Failly, Sénéchal d’Ellandy,

C’est le cœur lourd de chagrin que les Vandaag vous annoncent le sort terrible de notre bon roi Ibradic premier, retenu en otage par les Svade. Les forbans s’arment et nouent des alliances avec toute la lie de la Bredanie.

Sachez que bien que notre âme, à l’image de nos intentions, soit pure nous ne saurions, seuls, combattre la sédition qui grossit sous nos yeux en ce moment même. Les cupides Nordhal menacent notre flanc et nous forcent à un immobilisme rageant.
Au nom de notre bon roy, messer, levez l’ost ! Que vos piétons se joignent à mes gens et marchons sur la vermine svade ! Que les terres volées par ces gredins soient rendues aux Vandaag, bien meilleurs serviteurs de la couronne ! Sous notre tutelle, leurs terres malhonnêtement acquises deviendront un joyau du royaume, non un abcès.

Le temps nous est compté. Que les Vingt-Trois veillent sur vous et votre maisonnée.

Le Vandaaglündlyrgër.

Wart n’étant pas un lettré, le message se révélait concis. D’ailleurs, il n’avait pas l’esprit à paraphraser : les forêts svade monopolisaient ses pensées. Avec le soutien de l’armée du roi, il pourrait étendre ses domaines à l’ouest et mettre un terme à la dépendance du bois…

La nouvelle avait fait grand bruit en les murs robustes d'Ymyr. Voilà que se déroulaient en Fijn des jeux sacrés, tels qu'on les aimait parmi les rudes guerriers du Sigrdryrk. Aussitôt que l'annonce de jeux fut faite à Akhäb, celui-ci mis en branle tout ce qu'il avait de gens d'armes et de valetaille pour s'y rendre diligemment, et aller, si les vingt-trois le souhaitaient, glaner gloire et putains à cette occasion. On arma pas moins de dix boutres pour le voyage, « autant que si ledicte sigrdryrklyger s'en fussoit terrasser inexpoignable principaulté » notèrent les chroniqueurs. Il ne serait pas dit du Sigrdryrklünd qu'il était tenu par un pêcheur désargenté, vêtu de hardes à peine digne d'un chimpanzé et armé de clous rouillés. La flottille était étincelante sous ses entrelacs d'ors, ses voiles brodées de pourpre et ses avirons bien roides. Le Hutin était couvert de fourrures opulentes, de chaînes d'or et d'un heaume de bon acier, tout cabossé comme il se doit pour un seigneur de guerre.

Les boutres chargés d'ambition et d'espoirs se profilèrent quelques jours plus tard au large de Fijn. Les purotins bigots de la cité sacrée crurent d'abord à un raid maléfique, tant les galères d'Ymyr étaient noires. Puis leurs idiotes superstitions leurs dirent qu'il s'agissait de quelque maux envoyé par Yarkgnar, tant les baleines sculptés à la proue des navires semblaient vivantes. Et puis l'on vit que c'était simplement Akhäb le Hutin, pourvu, selon ses dires, d'une escorte tout à fait modestes et d'intentions pacifiques. « Il n'y a en les miennes resserres que succulentieux comestibles, et sur mes passerelles qu'aymables champions de pancrace » Les doux mots du roi d'Ymyr trouvèrent une oreille attentive en l'assemblée grouillant sur les quais immaculés de Fijn. Aussi les maquignons retournèrent-ils à leurs honnêtes activités, les putains à leur mercantile séduction et les hommes du peuple à leur crasseuse reptation. Quelle existence médiocre pour ces sujets du Svade ! Réduits à l'état de singes glabres et doués de paroles par leur tyrannique suzerain, tels qu'on en trouve pas même dans l'arrière-pays Sigredryrk. A peine méritaient-ils le titre d'hommes ! « Nous maistriseront aysément le pancrace, sire, face a telle engeance »

Le champion Sigrdryrk fut terrassé par un homme court et camus, seigneur du Vandaag. Wart le chauve, conspirateur visqueux aux allures d'œuf tout droit sorti de l'oigne de sa poule, avec des bacchantes grasses et des bras simiens. Akhäb était mécontent du résultat des jeux : non seulement son lutteur avait perdu « moult belles dents », mais son arbalestrier avait eu un poignet foulé, et son nageur, « l'espadon d'Ymyr » avait été perclus lâchement lors de sa course. Le seigneur de guerre, déjà doté d'un palmarès aux arguments indiscutables, avait, contrairement à son habitude, participé à une épreuve pour laver l'honneur de la maisonnée. Subjuguant une horde de convulsionnaires vavasseurs, il domina avec facilité le combat sur ours. Ses mains noueuses dirigeant sa sauvage monture en lui retroussant les babines, ses jambes musculeuses projetant ses adversaires à terre, il avait bien vite fait dévorer par leurs propres plantigrades ses adversaires. L'on prononça une prière pour le maître de l'arène, et puis on se mit à table pour fêter cette unique mais tonitruante victoire. Ortolans stagnant dans un verjus trop abondant, cochons grillés et fourrés de la barbe au cul de fruits méridionaux, faisans au plumage flamboyant et pâtés en croûte faisaient l'essentiel de ce simple en-cas.

Le lendemain de ce triomphe remarqué, le sigrdryrklyrger sombra à nouveau dans des abysses de courroux. Le Svade recrutait moult grant fuissons de gens d'armes pour assouvir quelque dessein secret. Que se cachait-il sous cet enrôlement massif et peu discret ? La réflexion en laissa un ortolan dans la bouche d'Akhäb pendant plus de quinze minutes, si bien qu'il finit en jus bilieux et peu digeste. Hagen ne pouvait espérer reconquérir Ymyr, car ce serait folie. Il n'allait sans doute pas non plus enlever le glorieux seigneur d'Aïmgaard, car sinon, il s'y serait pris à l'avance pour enrôler des reîtres. Et il en aurait recruté encore plus, pour espérer capturer le fougueux Akhäb. Ce-dernier, venu à une impasse dans ses supputation, décida d'inviter de manière tout à fait officielle et obséquieuse son homologue occidental. Il fallait avoir quelque profitable conversation afin de tirer au clair ces préparatifs guerriers. Avait-on décider de prendre le royaume sans songer à avertir le sigrdryrklyrger ? Akhäb attendait, marmoréen, son hôte loubineux dans un hôtel particulier, entouré de sa vassaux et d'une menaçante escorte.[/b]

"Et moi j'te dis que c'est pas une bonne idée ! Si on s'attarde alors queu'l capitaine largue les amarres, il aura not' peau pour l'avoir fait attendre !"
Deux rudes gaillards arborant fièrement cuirasse malodorante et fauchon terni par l'air marin se mêlaient à la foule de voyageurs assaillant la cité, se taillant tant bien que mal une place dans une taverne à la force de leurs coudes.
"Bah ! L'capitaine aussi y prend du bon temps, qu'est-ce tu crois ? On s'tirera pas de l'île avant la fin des jeux et il cuvera plus de vin qu'nous ! D'toute façon, on va pas rester ici à rien fout' pendant trois jours, nan ?"
Son comparse opina énergiquement du chef et commanda un tonnelet de vin ainsi qu'une jolie demoiselle, deux des richesses les plus connues de l'île.

Le Croquant était arrivé en ville depuis quelques heures, appâté non seulement par les jeux, auxquels tout bon marin Bredanien se doit de participer s'il ne veut finir dévoré par les palourdes vengeresses d'Uhlmer , châtiment légitime s'il en est, mais également par les rumeurs qui parcouraient toute la Baie. Il était question d'enrôlement apparemment illimité de mercenaires par le seigneur Svade en prévision d'une guerre, d'escarmouches, de pillages, ou d'autres joyeusetés de ce genre qui sont légion en Bredanie. Ce qui sortait du commun était le nombre de mercenaires qui entraient dans la ville bondée pour en ressortir en étant certain d'avoir sa place dans une troupe armée.
Après tout, si le seigneur se permettait autant de dépenses pour alimenter les jeux en plus d'une armée de mercenaires, l'entreprise du Croquant aurait sa place à ses côtés.
Le capitaine était par ailleurs certain de s'être fait remarqué des autorités, les guetteurs voyant d'un œil suspicieux la présence d'un dromon accompagné d'une poignée de drakkars aux quais. Un petit dromon, certes, mais malgré tout appareillé pour la guerre. De plus, ses nombreux pillards, ravis de pouvoir disposer à volonté des jeux, ribaudes et alcools de Fijn, clamaient tous haut et fort leur appartenance à une compagnie indépendante, quand leur bouche n'était pas emplie de la viande d'un porcin ou d'un tord-boyaux. Le capitaine, pour sa part, préférait rester sobre en compagnie de quelques officiers, et s'apprêtait à tenter sa chance au domptage de marsouins furieux.

Cela faisait quelques jours que Rolhrik hothgar et ses lieutenants pratiquaient maintenant les rues de Fijn profitant des jeux et de ses plaisirs. festoyant, se repaissant de chairs et de liqueurs de toutes sortes. Mais malgré l'enthousiasme de ses jeux en l'honneur des 23, le mercenaire se préoccupait de la situation qu'il avait amené ici et cela ne paraissait pas des plus favorable. Autour de l'île, il n'avait pu apercevoir aucun bateaux ou entraperçue quelques délégations d'une seigneurie importante. La question d'un roi captif ne méritait-elle pas d'être abordée ? ou la rumeur qu'il l'avait conduit sur en ces lieux n'était-elle fondée ?

Le barbare laissa de côté ses pensées et autres suppositions pour s'intéresser à un attroupement en demi-cercle autour de fiers guerriers et d'autels bancals où étaient posées cibles et haches de lancées. Cette épreuve était surtout apprécié par les bredaniens de l'est qui en avait fait une épreuve phare lors de leur jeu.

" Toi là, viens mesurer ton adresse ! " lança un chien à l'adresse du pirate qui ne semblait transporté ni par l'apostrophe ni par l'épreuve tout juste bon à contenter les pucelles du Trasamunlünd. Saisissant ferment une hache, il lança celle-ci avec violence sur la cible grossière qui vacilla à l'impact, atteignant quasiment le centre. Rolhrik se retourna, adressant un salut à la foule enchéri de grognement viril bien senti et autres son gutturaux. Mais cette démonstration de force n'était pas du gout de tout le monde et un chien maugréa, crachant sur sa technique et sur les origines plus que douteuse de sa génitrice. Grossière erreur, un poing vengeur alla s'encastrer dans la tête du malheureux dont le ratelier était maintenant briser. L'homme tenant sa mâchoire entre ses mains resta sur le sol, surement un chien de svadlünd qui n'aurait pas du défier Hothgar. A cette nouvelle " démonstration d'adresse " on vint féliciter avec tapes dans le dos et rire de circonstances un homme dont la technique n'avait plus a être critiquée, de plus on le déclara vainqueur de l'épreuve.

Le lendemain, Après avoir prié quelques dieux, le pirate se rendit aux joutes où il s'illustra à l'épée. Le sang, la foule hurlante, le souffle chaud, cela lui rappelé les souvenirs de sa jeunesse et après avoir été déclaré victorieux, il se rendit avec ses lieutenants dans une auberge afin de fêter sa victoire et dépenser quelques gains durement gagné. Mais le repas fut de courte durée. Alors qu'il avait encore l'os d'un mouton dans la gueule, une délégation aux couleurs de la maisonnée Svade fit irruption et planta ses bottes devant la table du marin avant de commencer le blablabla circonstancielle l'invitant voire le sommant de se rendre avec eux devant le seigneur des lieux. Après avoir lut à son tour le document-ou avait-il feinté la chose ?- lui et ses hommes suivirent l'escorte qui les fit traverser quelques barrages avant de les faire pénétrer dans un bâtisse à l'architecture plus méridionale que Bredanien. On les fit entrer dans une pièce où se trouvait le seigneur des lieux, Hagen Svade en personne, du moins c'est ce que le garde avait proclamé. Rolhrik restait sur ses gardes, ne sachant pas vraiment ce qu'il l'attendait à l'issue de cette entrevue, il observa la pièce qui était assez sombre avec une table sur la gauche et un feu sur la droite qui se consumait dans la cheminée. Le seigneur Svade était assit légèrement en hauteur, sur un siège ouvragé et confortable, du moins c'est qu'il laissait présumer.

" Seigneur Hagen Svade, me voila honoré d'être dans la maisonnée du bienfaiteur de ces jeux en l'honneur des 23. Que me vaut le plaisir d'une telle invitation ? "

Aujourd’hui était le jour des glaives. Hagen n’oubliait pas de recruter tant qu’il pouvait mercenaires et reîtres de toute origine. Cependant, il se rappelait également de ménager ses frères bredaniens en les invitant, souvent chacun à leur tour, pour connaître leur avis sur l’affaire qui l’avait amené à organiser de tels jeux. Les Vandaag et les Thrasamund s’étaient montré d’une expectative douteuse, tandis que les Nordhal l’avaient rejoint dans sa quête. C’était à présent au tour des Sigrdryrk de donner leur assentiment ou, pis, de se montrer neutres (soit lâches).

Mais avant de se faire rejoindre par le redouté Akhäb, Hagen avait fait mander l’un des grands pirates de la Baie, le dénommé Rolhrik. Ce dernier avait fait l’usage de violence au cours des jeux, ce qui était prohibé. Cependant, et ce malgré l’habituelle sévérité du seigneur Svade, il laissa courir ce fait-ci pour se concentrer sur ses ambitions. Pourquoi se mettre à dos quatre cents épées alors qu’il risquerait d’en avoir cruellement besoin dans quelques semaines ? Enfin, Rolhrik arriva. On le fit s’asseoir, et Hagen expliqua la situation.

« C’est la guerre qui vous fait venir à moi. Vous savez comme les autres qu’elle se profile. J’ai besoin de vos hommes et je les paierai grandement. Je ne vous dirai pas qui est notre ennemi et je compte bien voir chez vos hommes toute la vaillance que l’on demande aux Bredaniens. Si ces conditions vous accommodent, rejoignez l’armée Svade. »

Une fois cette proposition posée, le seigneur Hagen convia le mercenaire au dîner qu’il organisait, où d’autres capitaines de flottes se réunissaient pour son honneur et celui du Lyrgër des Sigrdryrk.




Lorsque le jour fut tombé et que l’on accueillit le gentil Akhäb et sa non moins gentille troupe, on comprit rapidement que les tensions fortes se faisaient sentir sur l’île de Fijn. Cela n’importunait que rarement les Bredaniens, qui vivaient depuis des siècles dans les vendettas en suspens et les dettes de sang à régler. Cependant, ici la tâche qui se dressait devant la Bredanie était autrement plus grande que l’éradication d’une bande de pirates ou la défaite d’une maison rivale. Bien qu’on n’en disait mot, tous savaient quelles velléités nourrissait le bon seigneur d’Ivdrer.

Lorsqu’enfin les libations cessèrent, les deux seigneurs se rejoignirent dans un lieu plus isolé de l’hôtel, accompagné chacun d’une poignée de liges plus fidèles les uns que les autres, au cas où les Svade se préparaient à quelques lâchetés. Ici, Hagen discuta franchement de son projet de mettre à mal Ellandy et comptait bien voir les Sigrdryrk rejoindre sa guerre.

Au lieu de voir le Svade venir en sa maison, Akhäb eut la surprise de recevoir un plénipotentiaire insipide. Il portait avec lui une contre-invitation, pratique courante en Bredanie quand l'on avait peur qu'une simple entrevue se transforme en bain de sang organisé. Akhäb se souvint des noces pourpres d'Hodam, où le premier Thrasamund avait fait pendre par les pieds le premier Sigrdryrk, il y a des kalpas de cela. Cette pratique imaginée en des temps mythiques fit des émules tout au long de la sanglante histoire boréale. Le Hutin n'était pas sot, et son esprit simple savait flairer ce genre de pièges, plus par réflexe atavique que par pure intelligence. Toutefois, hardi comme il l'était, il se résolut à s'aventurer dans la gueule spumeuse du loup d'Ivdrer. Là-bas, le repas fut bon : tourteaux, boeufs et bigorneaux en feuilletés ravissaient les hôtes Sigredryrk qui, toutefois, faisaient discrètement passer l'intégralité de leurs mets dans la bouche d'un goûteur. La quantité de nourriture qu'il ingéra le remua plus sûrement que n'importe quel poison, mais son rôle était rempli. Le festin se déroula sans heurt notable.

Alors que les premières bagarres digestives éclataient dans la grand'salle, les deux seigneurs bredaniens se retirèrent dans un discret salon, meublé avec le goût sûr qu'ont les chasseurs de baleine Fijnii. Deux ennemis héréditaires placés dans un espace si confiné, chacun entouré d'hommes de mains couturés de cicatrices viriles, ne laissait rien présager de bon. Toutefois, Svade déchira la tension électrique avec une franchise qu'on ne lui connaissait pas. Sans doute une partie moins viciée de son sang l'animait à cet instant, mise sur le devant de la scène par la sapidité proverbiale des requins sur lit de pétoncles. Il entretint le rustique lÿrger de la situation actuelle, pas si complexe que ça par rapport aux cabales qui avaient pu nouer la géopolitique Bredanienne. Le sanguin potentat d'Ivdrer avait emprisonné son bon roy, sous prétexte que celui-ci avait bafoué les lois traditionnelles du septentrion. D'ors et déjà une certaine connivence s'installait entre des hommes qui, à défaut de s'aimer, faisaient preuve de la même défiance à l'égard des suderons.

Mais cela n'était pas tout. Les alliances se tramaient à l'occasion des jeux, et déjà la situation était claire : il y avait d'un côté le Svade et l'impétueux seigneur Nordhal, et de l'autre les frigides Vandaag et Thrasamund. Voilà qui aiderait le sigrdryrk à prendre une décision pertinente. Wart avait humilié le Sigrdryrklünd au pancrace, et l'autre ne cachait plus depuis longtemps sa convoitise pour les terres septentrionales d'Akhäb. Vangösd était le théâtre d'une conflagration silencieuse entre propagandistes experts et généalogistes sourcilleux. Il était bien sûr hors de question de marcher aux côtés de seigneurs aussi méprisables, bien plus que de suivre un homme que vous aviez affronté lors d'une honnête guerre. « Que cette racaille reste sourde aux appels de la nation ! Je vous aiderai à conterer vigoureusement Ellandy ! ». Idiot serait celui qui, devant les cuisses grand'escartées de la grasse truie suderonne, s'encouardirait et refuserait d'y introduire le glaive.

Une atmosphère à présent plus détendue fut mise à profit pour mettre au point les préparatifs de guerre, sans lesquels toute campagne était vouée à la débandade. L'ont convint d'un point de rassemblement judicieux, et des effectifs qu'Akhäb mettrait à disposition de l'ost justicier. Force virils hommes d'armes bien sûr, mais aussi de solides embarcations, des comestibles à grant fuisson. On se mit aussi d'accord sur le partage des butins, qui, après tout, étaient en fait la seule vraie motivation des guerriers bredaniens. Des nuées de boutres subjugueraient bientôt les villes arrogantes du royaume, et abattraient la malemort sur ses campagnes ! Et maintenant que les alcides sigrdryrk étaient voués à la cause Svade, la victoire était assurée !