J'écris ce post pour que vous puissiez me donner votre avis sur le début de mon roman, car c'est la premièrefois que je me lance dans une oeuvre sérieuse, et j'espère le faire éditer à la fin de l'été. je ne l'ai encore fait lire à personne pour la simple et bonne raison qu'il n'est pas encore finit.
L'histoire débute en Janvier 1916, et je vous préviens, c'est un peu glauque. Pendant la guerre, ils ne cueillaient pas des paquerettes
.
enfin voilà j'aurais juste voulu avoir des avis francs, donc si vous avez un peu de temps, n'hésitez pas, les critiques font avancer.
merci d'avance, et désolée pour vos p'tis yeux...
Une langue d’herbe sur ma jambe, froide, agonisante ; la seule. Un ciel de plomb, déjà, lourd et dense sur mes épaules. Un brin de vent, discret et frivole qui provoque la peau crevassée de mes mains, qui joue avec mes doigts, si fin qu’il ne sert à rien, si léger qu’il m’exaspère. Un paysage de chaos noyé dans la lumière blanchâtre du matin et qui se déchire sur l’horizon d’argent. Une terre pillée, à bout de souffle, heurtée par des milliers de corps semblables à des pierres lourdes, trop lourdes. C’est tout ce qui s’offre à mes yeux. C’est tout ce qu’on me laisse, tout ce qu’on me donne à protéger au prix de ma vie, ces champs rouges, meurtris, cette France décharnée qui ne respire plus, ces paysages morts ; tout est mort.
Plus un arbre, plus un oiseau dans le ciel que les obus ont crevé sans interruption. Tout cela n’a plus de sens, plus aucun sens. Je baisse les yeux sur mon pantalon sale, maculé de boue séchée et de sang. Je ne distingue plus son rouge flamboyant sous les couches de terre morte. Je me souviens, en regardant ce pantalon, de ce mois, ce fabuleux mois d’août mille neuf cent quatorze, lorsque trois grandes charrettes de réquisition sont entrées dans la cour de la ferme, face aux deux sections de hussards immobiles et attentives sous un immense chai. Tout le monde, dans une cohue spontanée, s’était rué sur les hautes charrettes, s’agrippant aux panneaux de bois et plongeant au milieu des uniformes flambant neufs. On jetait les habits par-dessus bord, on les attrapait à la volée, et on enfilait rapidement une jambe, un bras, comme s’il s’agissait d’une course à l’habillement. Ce fut alors une folle comédie qui prit forme, ressemblant à une danse mal coordonnée, vibrante de bleu, de rouge, de rouge et de bleu. Chacun cherchait à enfiler l’uniforme le plus neuf, le plus reluisant. Je ne pouvais alors pas imaginer à quoi cet uniforme, symbole de notre engouement, allait ressembler, après deux ans de bataille, de sueur et de sang. J’étais d’ailleurs certain, en partant ce jeudi-là, de me trouver près de mes parents le noël suivant. Cela ne faisait aucun doute ; tout était clair dans mon esprit. Comment cela pouvait-il se passer autrement ? Comment cela a-t-il pu se passer autrement ? Pourquoi ai-je l’impression que le temps s’enfuit, et que la guerre s’enlise comme nos pieds dans cette boue profonde ?
Trop longtemps, cela fait trop longtemps maintenant.
Un mois déjà que nous avons mit pied à terre, que nous avons abandonné nos chevaux, et que l’on s’enracine inéluctablement dans ces boyaux de terre froide et épaisse. Un mois que l’on vit entre deux murs de boue, cette boue menaçante qui finira bien par nous tuer. Je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir été aussi inutile à mon pays, et je regrette les belles charges que nous menions au clair dans les grandes prairies dégagées pour aller cueillir des germains heureux.
Je regrette de n’avoir pas su qu’il faille mourir si tôt.
Trop longtemps, cela fait trop longtemps maintenant.
Un mois déjà que nous avons mit pied à terre, que nous avons abandonné nos chevaux, et que l’on s’enracine inéluctablement dans ces boyaux de terre froide et épaisse. Un mois que l’on vit entre deux murs de boue, cette boue menaçante qui finira bien par nous tuer. Je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir été aussi inutile à mon pays, et je regrette les belles charges que nous menions au clair dans les grandes prairies dégagées pour aller cueillir des germains heureux.
Je regrette de n’avoir pas su qu’il faille mourir si tôt.
« Eh, gamin ! »
Je redresse vivement la tête ; un soldat à la figure sale se tient penché au-dessus de moi. La visière de son casque ombrage son regard scintillant, et un bête sourire est pendu à son visage terreux. Il porte, assez fièrement je crois, une fine moustache qui souligne ses lèvres, et cela lui donne une bonne figure. Il doit avoir trente ans environ, peut-être trente-cinq, et c’est sûrement parce que je n’ai que dix-neuf ans, moi, qu’il trouve normal de m’appeler « gamin ».
« C’est bien toi, Emile Margat ? »
J’opine silencieusement. Oui, c’est bien moi Emile Margat.
« Il me semblait, continue le soldat, Il me semblait bien que c’était toi, le jeune hussard Emile Margat. »
Il semble vouloir parler, le gars à la moustache, mais je n’ai pas envie de discuter. Je préfère rester seul, assis dans la boue, au milieu de ma tranchée.
« Qu’est-ce que tu veux ? » je demande, un peu agacé.
Le soldat plonge alors la main dans sa besace, fouille pendant quelques secondes un tas de papiers soigneusement rangés, puis me tend une enveloppe sale avec un sourire franc.
« Une lettre pour toi. »
Je prends délicatement la lettre qu’il me tend. Un bref regard porté au dos de l’enveloppe confirme ma pensée : c’est bien mon frère qui m’a écrit.
« Merci », je réponds simplement.
Le soldat m’adresse un signe de la tête, puis tourne les talons et s’enfonce dans la tranchée. Je crois qu’il a compris.
Tout de même, mon cœur cogne fort contre ma poitrine. Je déchire l’enveloppe avec une délicatesse infinie. Elle provient bien du vingt-troisième régiment d’infanterie.
Je sais qu’elle ne peut venir que de François ; pierre est mort hier. Tout deux étaient dans le même régiment, et ils avaient tenu à l’être. Ils ont dû essayer d’être toujours ensemble, et je ne comprends pas ; je ne sais pas ce qu’il s’est passé. François a voulu m’épargner, sûrement, la manière dont pierre était mort, mais j’imagine, car j’ai vu des hommes mourir, qu’il a pu se retrouver enseveli dans sa tranchée par un obus, tout comme il a pu tomber lors d’une offensive ennemie. Tout est possible, et je pourrais essayer d’imaginer le pire, mais puisque François n’a pas voulu me le dire, c’est qu’il vaut mieux que je n’y pense plus. Et peut-être a-t-il raison, peut-être deviendrai-je fou, si je savais. J’en suis déjà tellement proche. J’ai d’ailleurs rapidement oublié ce qu’est la raison ; cette guerre n’a plus rien ni de raisonnable ni d’humain.
Pourtant, c’est bête, je repense à notre départ pour la gare, et je me dis que si j’avais su, je lui aurait demandé pardon pour le vélo, et je lui aurait dit de faire plus attention à lui. Il ne saura jamais que je m’en veut pour le vélo.
Il m’a fait promettre de bien prendre soin de moi, de tout faire pour protéger mon pays, mais de ne rien tenter en bravades héroïques ; de ne pas sacrifier inutilement ma vie. Je me demande si c’est ce que lui a fait. J’ai du mal à imaginer que tout est fini, que je ne le reverrai plus. Ce qu’il y a de plus affreux, c’est que, déjà, je n’ai même plus le souvenir de son visage dans ma mémoire. C’est comme si peu à peu, tout s’était effacé. A présent, il ne reste plus que François et moi, et François continue à m’écrire, mais je préférerais qu’il ne m’écrive pas, car j’ai peur, un jour, de ne plus recevoir de lettres de lui, et de comprendre, fatalement, que personne ne pourra rentrer à la maison pour consoler papa et maman.
Je sais déjà que dans sa lettre, mon frère me parlera de ces moments ou il parvient à dormir, serein, d’un de ces repos bienfaisants, des histoires qu’ils se racontent à l’abri dans leurs tranchées, des cigares qu’a partagé avec lui un sous-officier, du vin de la Moselle qu’ils ont eu le droit de déguster, pour une fois, grâce à la générosité de quelques infirmiers. Mais je sais aussi qu’il oubliera, ou qu’il fera exprès de ne pas parler des soldats qui sont morts, de son camarade, peut-être, des rats qui dévorent le cuir de leurs brodequins, des obus qui filent au-dessus de leurs têtes, des mitrailleuses qui sifflent comme des menaces de mort, de sa souffrance et de sa peine, du poignard qui a crevé son cœur lorsque Pierre a plié genoux. Il oubliera de me parler de tout cela pour me protéger, moi, comme il n’a pas su protéger Pierre. Pourtant j’aimerais lui dire que je n’ai pas besoin d’être protégé, mais que j’ai besoin de savoir qu’il connaît les mêmes souffrances que moi, et qu’à deux, l’on souffrira un peu moins ; un peu moins que tout seul.
Finalement, je plie l’enveloppe en deux, la glisse dans ma poche, et reprend mon ouvrage. D’une main habile, je fais glisser la lame effilée du couteau sur le petit bout de bois, je suis ses veines, le flux de sa sève, je contourne ses nœuds, je grave mes initiales ; EM.
Je ne sais pas ce que je fais ; cela prendra forme petit à petit. Que pourrai-je faire d’autre ?
Non, c’est fichu. Je jette avec dédain le ridicule petit bout de planche qui vient grossir un tas déjà conséquent de sculptures ratées.