La fuite - Le repaire des Mercenaires

[hrp] Suite d'un jour particulier [/hrp]

Evan chevauchait au côté de son maître depuis maintenant bien longtemps. Il n’avait jamais quitté Criméa et s’émerveillait à la moindre découverte. D’un écureuil grignotant une noisette à une plante aux airs tropicale et touffue, toutes les merveilles de la nature lui tiraient un sourire réjoui. Sa jument était particulièrement docile et intelligente et Evan se surprit quelquefois à lui murmurer des paroles à l’oreille. Elle suivait tranquillement le cheval de Thalys, d’un pas lent. Ils étaient maintenant loin de Criméa. Cette pensée soulageait Evan mais le terrorisait en même temps. Il était heureux d’avoir quitté sa ville natale auprès de la jeune femme mais avait peur de l’inconnu.

Il était un piètre cavalier. Ce n’était que sa première expérience sur le dos d’un cheval et il ressentait une vive douleur dans l’arrière-train. Ne cessant de sautiller sur sa selle, Evan avait ravivé par la même occasion la douleur de sa plaie et continuer de chevaucher devenait un vrai supplice. Comme si elle comprenait le jeune homme sur son dos, la jument changea de direction et se dirigea vers une rivière à quelques mètres de la route qu’ils suivaient. Evan descendit non sans mal de sa selle, manquant de tomber mais se rattrapa habilement sur le sol. La jument se rendit jusqu’à la rivière afin de s’abreuver, Evan retira sa cape et s’adossa à un arbre, se laissant glisser au sol. Assis, il leva la tête vers Thalys.

- Je suis désolé mais je n’en peux plus. Je n’étais jamais monté à cheval.

Il avait besoin d’une pause et ils étaient assez éloignés de la cité pour qu’il n’y ait plus aucun risque. Fermant les yeux, il se rappela des paroles du garde.

*Une femme brune aux cheveux longs et aux yeux cernés de noirs…*

Se frottant les cheveux, il demanda :

- C’est toi qu’ils recherchaient…

Il se souvint des derniers mots du garde et frissonna :

*Un assassin… Cinq de nos plus braves soldats…*

Elle aurait tué cinq gardes au château. Evan était partagé entre admiration et effroi. Il ne doutait pas qu’elle avait de bonnes raisons de faire cela mais l’idée de donner la mort le révulsait.

- Dis… commença-t-il d’une voix incertaine. Les gardes…

Il se tut. Il ne savait pas comment aborder ce sujet et puis... si elle souhaitait lui en parler elle le ferait d’elle-même… Sur cette pensée, il se leva et rejoignit sa jument près de la rivière. Il attrapa un peu d’eau entre ses mains qu’il aspergea sur son visage. Après s’être mouillé la figure, il passa sa main humide le long de l’encolure de sa jument, il faudrait qu’il lui trouve un nom. Fixant d'un regard évasif les remous que la bête provoquait dans l’eau, il réfléchissait à un nom qui lui conviendrait.

Thalys observa le jeune homme descendre de sa monture, puis s'assoir près de la rivière... Elle souffla, le regard mauvais puis descendit à son tour et flatta l'encolure de son cheval. Elle avait pensé l'appeler Asileus. Elle se réservait l'origine et le pourquoi de ce nom. Cela ne regardait qu'elle.
Elle le laissa tranquillement et s'assit auprès de son apprenti, passant la main dans sa nuque. Puis Evan dit alors:

"Dis... Les gardes..."

La mercenaire bascula la tête en arrière, regardant au travers des feuillages de l'arbre auquel elle était aussi adossée.

"Ils n'ont eu que ce qu'ils méritaient ces sales raclures. Tuer ou être tué Evan. Tu es maintenant un apprenti, tu devras faire avec cette triste destinée. Il y a ce que tu peux faire, et ce que tu dois faire. En tant que mercenaire, nous n'avons pas le choix..."

Elle s'étira, quelques articulation craquèrent au passage, ce qui la soulagea.

"Tu veux vraiment savoir ce qu'il s'est passé?"

Thalys se leva et regarda le jeune homme.

"Ils ont essayé de me faire ce qu'ils feraient à une catin, ils m'avaient aussi pris mon anneau. Ils avaient largement mérité la mort. Soit je me laissais souiller par ces vermines, soit je les éliminais. Tu auras des choix à faire tôt ou tard dans ta vie toi aussi. Ne sous-estime pas la cruauté dont je peux être capable en certaines situations. C'est la seule chose qui a fait que j'aie pu survivre et que je sois devenue mercenaire... Notre destinée n'est pas un fleuve paisible."

Elle tourna la tête et attrapa les rênes d'Asileus.

"Dépêche-toi de te remettre en selle, tant que nous serons à Dinak, je serais en danger. Libre à toi de me suivre ou non..."

Elle aurait souhaité qu'il comprenne... Elle rajouta :

"Ils m'ont pris mon anneau, alors que j'avais trouvé des rapports concernant des recherches sur notre fratrie... J'étais obligée de les passer sous silence. Les mercenaires sont en danger."

Ensuite, elle tourna la tête et claqua légèrement ses talons sur la panse de son destrier et continua son chemin, suivant le lit de la rivière qui devrait les emmener au lac.

Evan écoutait silencieusement. Il comprenait le geste de Thalys. Les gardes avaient dépassé les limites, ils méritaient de mourir… néanmoins il ne supportait pas l’idée de tuer. Se salir les mains avec le sang d’un autre homme était une idée qui l’effrayait, il espérait que cela n’arrive que dans très longtemps. Il s’était souvent retrouvé au milieu de bagarre et avait déjà salement amoché quelques bandits mais n’avait jamais songé de mettre fin aux jours de quelqu’un, quelle que soit la situation.

- Je vois… dit-il en imaginant les moments atroces qu’avait du traversé son maître.

Chassant ces mauvaises pensées, il avoua :

- J’espère ne pas avoir à tuer… pas maintenant.

Par « maintenant », il évoquait son jeune âge, il était trop jeune pour donner la mort. Malgré sa réprobation, il savait que c’était inévitable et tentait de s’y préparer. En vain.
Il s’approcha de sa jument et tapota son cou.

- Que penses-tu de Ladia ? ça te plait ?

Pour seule réponse, Evan du se contenter d’un long hennissement qui le fit sourire.

- Moi aussi j’aurais aimé rester plus longtemps, mais on n’a pas le choix… murmura-t-il à l’animal avant de remonter sur sa selle.

Grimper sur le dos de sa monture était un véritable défi. Evan bascula et manqua de s’effondrer, il ne dut qu’à l’incroyable placidité de l’animal pour ne pas finir par terre. La jument rejoignit Thalys et son destrier et se cala sur la même allure.

- Continue comme ça, souffla-t-il alors qu’il réalisait :

*Voilà que je parle à une jument maintenant… ça ne s’arrange pas…*

Gêné, il se frotta la tête pour cacher son trouble avant de s’exclamer :

- Évidemment que je te suis ! C'est pas quelques gardes qui vont me faire peur !

Il adressa un grand sourire à Thalys avant de reprendre son sérieux et demanda:

- Les Mercenaires agissent dans l’ombre, donc si le roi de Dinak enquête sur eux, c’est une nouvelle inquiétante… c'est bien ça ?

Il se tourna vers son maître et repensa à l’anneau d’Istal et à la manière dont les mercenaires à l’auberge exposaient volontairement leur bague. Si le roi avait connaissance de l’existence de ce bijou, l’exhiber ainsi les mettaient en danger, eux et tous les autres Mercenaires.

- Et maintenant… que faisons-nous ? Je sais que nous quittons Dinak, mais où allons-nous ?

Incapable de patienter, il lui fallait des réponses. Il ne supportait pas de marcher droit vers l’inconnu, sans savoir où il s’aventurait.

Evan chevauchait près de Thalys.

*Au lac ? Pourquoi irions-nous au lac ?*se demanda-t-il.

Il ne posa plus aucune question. Son maître restait silencieux, il se taisait aussi. Chevaucher était une expérience nouvelle pour lui, nouvelle et désagréable. Malgré sa jument très docile, il souffrait. Mais il souffrait en silence. Pas question de se plaindre. Evan jetait de temps en temps des regards discrets vers Thalys, elle semblait soucieuse. Il attendit qu’elle parle la première, ils allaient s’arrêter, enfin. Il poussa un soupir de soulagement et laissa son cheval s’immobiliser, incapable de le guider lui-même. Il descendit de sa selle. Elle voulait qu’il fasse un feu.

- Mais… Je ne sais pas comment…

Il n’acheva pas sa phrase, elle était déjà partie. Il attacha Ladia à l’aide d’une corde à l’arbre où se trouvait déjà le cheval de son maître. Il veilla à ce que sa monture puisse se déplacer aisément sans trop s’éloigner et partit en quête de bois. Il trouva du bois sec qui lui convint ainsi que quelques brindilles. Il nettoya l’endroit qu’il avait prévu pour le feu et le prépara, entourant le bois de pierre de bonnes tailles. Se rappelant des discours des voyageurs qui venaient conter leurs exploits à Criméa, Evan se souvint qu’un vieil homme avait déclaré avoir fait du feu en frottant deux bâtons. Il attrapa deux fins bâtons qu’il regarda bêtement.

*Je n’y comprends rien… Comment peut-on allumer un feu avec deux bouts de bois ?*

Il regarda sa jument qui le fixait intensément.

- Ce n’est pas marrant… déclara-t-il. Thalys ne va pas être contente…

Il soupira. Il avait au moins préparé le terrain et le bois. Il s’allongea sur le dos, les bras derrière la tête. Fatigué, il sentit chacun des muscles se détendre, soulagé par cet instant de repos… qui ne dura pas bien longtemps. Evan sursauta en entendant le cri d’un animal sauvage. Cherchant son maître du regard, il la vit revenir tirant un animal jusqu’au camp. Il se releva d’un bon.

- Un sanglier ! s’exclama-t-il.

Il avait déjà vu une tête de sanglier accrochée au mur d’une taverne, tel un trophée. La bête, même morte n’en demeurait pas moins impressionnante. Et Thalys voulais qui la dépèce. Il déglutit difficilement et se rapprocha en dégainant le coutelas accroché à sa cuisse.

- Pour le feu… je n’ai pas réussi… dit-il piteusement en désignant les morceaux de bois entassé au milieu du camp.

Ceci dit, il s’accroupit près du cadavre du sanglier avec une moue dégoutée.

- Ne m’en veut pas. Elle t’a tué, je te déshabille, je ne suis pas le plus à blâmer…

Il leva la tête vers son maître. Il ne savait pas comment procéder. Il n’avait jamais dépecer d’animal.

Evan baissa lamentablement la tête. Sa remarque était désobligeante.

- Je sais… je n’aurais pas du… je suis désolé. Je sais que tu as tué car tu n’avais pas le choix. Je ne peux t’assurer que j’aurais fait la même chose à ta place car donner la mort est une idée qui m’est inconnue mais je suis certain d’une chose, ils le méritaient.

Il sourit tristement. Il n’essayait pas de se rattraper, il était sincère. Il n’aurait jamais du se permettre de lui manquer de respect. Il s’en voulait. Il s’approcha et s’accroupit près du feu, regardant Thalys l’allumer. Il observait et comprit le principe, par le frottement elle créait des étincelles qui enflammèrent les brindilles. Cela n’avait rien d’exceptionnel pourtant ses yeux brillaient d’une lueur admirative. Il avait soif de savoir et s’abreuvait des connaissances de son maître.

Alors qu’ils s’apprêtaient à dépecer le sanglier ramené par Thalys, il prit une grande bouffée d’inspiration. Il sectionna comme elle lui avait demandé, écoutant ses explications. Il n’aurait jamais pensé que l’étude de l’anatomie serait si fascinante. Mémorisant chaque parole, il restait de marbre face au spectacle écœurant que représentait le cadavre de l’animal. Lorsqu’elle eut achevé, il détourna lentement le regard avant de se lever. Il fit quelques pas avant de s’assoir contre un arbre, nauséeux. Il déposa ses coudes sur ses genoux et mit sa tête entre ses mains. Découvrir ainsi l’intérieur d’un sanglier était une expérience inhabituelle, certes instructive mais très dégoutante. Après quelques minutes, il se leva et la rejoignit.

- Merci sanglier, grâce à toi j’entretiens mes muscles, déclara-t-il, amusé.

Il regarda la viande cuire, le regard perdu au travers des flammes.

- Insouciantes… irrésistibles et envoutantes, murmura-t-il faiblement à lui-même.

C’étaient les seuls mots qui lui venaient à l’esprit en contemplant les flammes. Insouciantes, elles étaient libres, dévastant certes les paysages qu’elles traversaient mais libres. Irrésistibles, elles étaient le chasseur, jamais la proie et n’écoutaient que le vent, ignorant les embuches sur leur passage. Envoutantes, l’homme était fasciné par le feu, attiré irrémédiablement par la chaleur et la lumière qu’il procurait. Egaré au milieu de son esprit, Evan en oublia presque la présence de Thalys. Alors qu’il réalisait qu’il parlait tout seul, il s’exclama d’un air gêné :

- Navré, je me suis laissé emporter par mes pensées…

Détournant son regard du brasier au milieu du camp, il s’allongea sur le sol.

*Le lac…*

Il savait qu’un lac se trouvait au milieu du continent, entouré par les trois royaumes. Il ne savait que cela. Qu’allaient-ils faire à un lac ? Il aurait parié n’importe quoi que Thalys veuille prendre contact avec les Mercenaires, voire les dominants après ses découvertes. Et ils se rendaient à un lac… C’était absurde… Sauf si…

- Thalys, les Mercenaires ont-ils une base sur Tosya ?

Poursuivant sur son idée, il demanda d'une voix excitée :

- C’est pour ça que nous allons au lac, n’est-ce pas ?

Evan fit signe à Thalys qu’il se tairait à présent, n’évoquant plus le sujet des Mercenaires. Même si cela lui déplaisait, il devait être patient. Il attrapa l’autre cuisse qu’il dévora tant il était affamé. Il récupéra ensuite la gourde lancée par la jeune femme et bu une grande gorgée.

Thalys souhaitait lui apprendre à lire. Evan avait oublié depuis bien longtemps la perspective d’apprendre un jour à lire, il se savait trop vieux, et l’idée de son maître le réjouissait. Il attrapa le papier et commença à mémoriser chaque signe avec le son qui lui correspondait. C’était bien plus ardu que cela en avait l’air, enregistrer autant de signe demandait un travail considérable, mais il ne se découragea pas.
Puis vint le temps de dormir. Evan n’avait pas particulièrement envie de dormir mais il fallait qu’il se repose. S’allongeant sur le sol, sa cape en dessous de lui, il ferma les yeux et détendit tous ses muscles. Il avait peiné à s’endormir, s’était retourné de nombreuses fois avant de finir par trouver la route du sommeil et s’était levé avant même que Thalys ne le réveille. Conscient qu’il ne se rendormirait jamais, il la rejoignit en grognant et lui dit qu’il allait prendre sa place. Assis contre son arbre, Evan écoutait le moindre bruit, la nuit était longue. Il ne remarqua même pas Ladia, sa jument, postée derrière lui et sursauta lorsqu’elle renacla dans son dos.

- Toi non plus tu ne dors pas, murmura-t-il doucement.

Décidément cette jument lui plaisait de plus en plus. Non pas parce qu’elle ne parvenait pas à s’assoupir mais parce qu’elle lui ressemblait.

- Demain la route sera fatigante, tu devrais te reposer, lui dit-il avant qu’elle ne disparaisse, le laissant de nouveau seul.

Le restant de la nuit, Evan le passa à réviser son alphabet.

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Quelques jours passèrent ainsi, le voyage était bercé par une douce tranquillité. Ils n’avaient croisé personne, poursuivant leur route en direction du lac. Evan profitait de chaque instant pour apprendre les lettres et leur son, demandant à Thalys lorsqu’il ne se souvenait plus. Il essayait en même temps de comprendre comment guider un cheval, mimant les gestes de son maître. L’équitation ne lui déplairait pas… si ce n’était pas aussi douloureux pour son arrière-train. Sa plaie cicatrisait bien mais restait tout de même sensible, rendant le voyage à cheval particulièrement désagréable. Sa monture ressentait sa douleur, évitant de trop le secouer, attristée. Lui ressentait la fatigue de sa monture, chacun de ses pas était lourd, il la soutenait en lui tapotant régulièrement l’encolure, compatissant. Motivés tous deux par ce même désir de suivre Thalys, ils se devaient de continuer. Ensembles.

Une matinée de plus à cheval, Evan s’était assoupi sur le cou de sa jument et ne le vit pas tout de suite. Ce fut Ladia qui le réveilla avec un long hennissement. Il leva la tête. Devant lui, il s’étendait enfin. Il était encore loin mais ils l’atteindraient dans la journée.
Le lac.
Immense étendue azurée aux reflets transcendants.
Le lac.
Semblant défier les hommes par son implacable placidité.
Le lac.
Le visage d’Evan s’étira, émerveillé. Il ne regrettait pas d’avoir quitté Criméa.

Thalys voyait à présent le lac... ils étaient enfin arrivés aux rivages, après ce cheminement le long de la rivière... Ils allaient enfin trouver le repaire...


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